Les phrases des articles relatant son décès se ressemblent plus ou moins : Mort/décès du rappeur new-yorkais/membre de Mobb Deep Prodigy, puis l’âge (42 ans) et la cause (drépanocytose).

On vous dira probablement – sans savoir toujours pourquoi – que c’est une légende. On vous citera Shook. Ones part.2, Havoc et « The Infamous », et basta. Pourtant, il y a bien plus à voir que cela dans la carrière d’Albert Johnson, dit Prodigy. Des albums avec le Mobb, quelques albums solos et mixtapes, des featurings, et surtout, une attitude, des rimes et des textes uniques. Sa carrière a été longue (une autre phrase que l’on vous dira sans détailler), et il convient de revenir sur certaines étapes qui en ont fait l’icône du Queens.

Juvenile Hell

Non, The Infamous n’a pas été le premier coup d’éclat de Mobb Deep. Juvenile Hell est le premier album du duo, sorti en 1993. Dur de se faire une place au milieu de quelques classiques sortis la même année comme ceux de leurs homologues du Wu-Tang : Enter the Wu-Tang : 36th Chambers ; ou de leurs « rivaux » de la West Coast, Strictly 4 My N.I.G.G.A.Z de Pac ou Doggystyle de Snoop. Pourtant, comme pour la plupart des artistes, le premier album est souvent soit le meilleur, soit le plus authentique. Celui où l’on se lâche et où l’on rappe sans calculer, faute de moyens, d’expérience ou des deux. Illmatic, Reasonable Doubt, Enter the Wu-Tang, voire Ready to Die (l’expression jamais deux sans trois a été l’exception qui confirme la règle pour Biggie) sont autant de preuves que le premier album est souvent le plus marquant. Si cela n’a pas été le cas pour Prodigy et Havoc, alors âgé de 17 ans au moment d’enregistrer, on ressent la fougue des débuts dans leurs sons déjà bien « street », mais moins hardcore et plus boom-bap. Peer pressure, leur premier single, montrent l’état d’esprit des deux ados. Derrière le visage… juvénile de Prodigy se cache déjà une flamme dans son regard. Il décrit la peer pressure (pression sociale) et la vie de rue avec attitude, maturité et brutalité, faucille à la main. LE M.O.B.B est né !

“My parents told me from day one
Finish school and avoid all obstacles
But my environment makes it so impossible”

The Infamous

Le fameux Infamous. Le classique et incontournable album du groupe. Sans enlever ce qu’ils ont accompli par la suite, on peut se dire qu’à l’image de Mauvais œil de Lunatic, le groupe aurait pu terminer sa carrière sur cet album sans que cela ne les empêche de rentrer dans l’histoire du rap. Dans le sillage de Ready to Die et Illmatic sorti un an plus tôt, beaucoup de gros albums de rappeurs new-yorkais sortent en 1995 : ceux des shaolins Raekwon (Only Built 4 Cuban Linx), GZA (Liquid Swords) et ODB (Return to the 36 Chambers : The Dirty Version) ; celui Fat Joe (Jealous One’s Envy) ou des légendaires Big L (Lifestylez ov da Poor & Dangerous) et Kool G Rap (4,5,6). En face, Tupac représente la West Coast avec le classique Me Against the World. Mais l’album du Mobb est certainement celui qui a le plus d’écho une vingtaine d’années plus tard tant il a changé la face du rap. C’est probablement là que la définition du rap de rue et du hardcore a pris un nouveau sens. Elle a été réinventée par les deux MCs à travers les 16 titres de l’album. Même les préludes (hormis The Grave Prelude, et encore) peuvent être considérés comme des gros titres à part entière : le monologue de « Pee » sur le rap et la vie de rue dans The Infamous Prelude ou son freestyle avec le « troisième membre » du crew, Big Noyd, sur Just Step Prelude ne peuvent pas être ignorées. Chaque titre est d’ailleurs une pépite  dans cet âge d’or vécu par le rap du Queens. Survival of the Fittest, mais aussi – et surtout – Shook Ones part 2 sont resté dans les annales, régulièrement citées comme les meilleures musiques de rap de tous les temps. The Infamous est le genre d’album parfait, excellent du début à la fin, avec de gros et sombres sons pour autant de gros featurings (Big Noyd qui serait presque un 3ème membre non officiel du groupe, Nas, Raekwon, Ghostface Killah, Q-Tip). Il a marqué une génération et les suivantes, largement influencées par le rap  et le style de Prodigy et Havoc, aux États-Unis (popularisé à plus large échelle grâce à 8 Mile notamment), mais aussi en France (Time Bomb, Mafia K’1 Fry, Expression Direkt, etc).

Si le refrain de Shook Ones a été popularisé et repris à foison, il y a une autre phrase lâchée par « Pee » qui résume bien son état d’esprit :

“I’m only nineteen but my mind is older”

L’enfer sur terre

Hell on Earth, le troisième album du groupe, est un peu comparable à It Was Written, le second album de Nas sorti la même année en 1996 : les deux sont excellents, mais ont été éclipsés par le succès des précédents. Hell on Earth reprend à peu près la même recette que le précédent (moins sombre toutefois car difficile de faire plus), et la musique du Mobb reste authentique. Mais un an seulement après la sortie de The Infamous, l’album a un peu moins marqué les esprits auprès du grand public même il s’est paradoxalement mieux classé dans les ventes d’albums… comme pour It Was Written.

Avec sa voix qui marque les esprits, presque nonchalante et nasillarde, Prodigy décrit toujours avec simplicité et réalité la vie de rue et la dureté de la vie en général, notamment dans Hell on Earth (Front Lines), musique sombre et triste aux airs d’apocalypse.

“I was born to take power, leave my mark on this planet
The Phantom of Crime Rap, niggas is left stranded”

https://www.youtube.com/watch?v=Qx4-8zxRj3U

Murda Muzik

À l’aube des années 2000, l’aura du “Infamous Mobb Deep” s’est quelque peu essoufflée. Leur 4ème opus Murda Muzik sort en 1999. S’il est l’album le plus vendu par le groupe aux États-Unis, il est certainement (de manière subjective) le moins bon des albums cités précédemment. Le rap a déjà changé entre-temps et l’âge d’or du rap new-yorkais, qui a cette année-là perdu l’un de ses fers de lance avec le décès brutal de Big L, semble déjà révolu. Malgré tout, le duo du Queens nous livre toujours quelques bonnes musiques estampillées Mobb Deep, comme le titre Quiet Storm, parmi les plus célèbres du groupe même si cela s’apparente plus à un son de Prodigy en featuring avec Havoc au refrain, et à la production.

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“I put my lifetime in between the paper’s lines
I’m the quiet storm nigga who fight rhyme”

H.N.I.C

En 2000, the official Queensbridge murderer est H.N.I.C : Head Nigga in Charge, son premier album solo. Il aura marqué les esprits de nombreux rappeurs (dont Wiz Khalifa qui sortira plus tard O.N.I.F.C pour Only Nigga in First Class) avec ses grosses prods et sa capacité à capter l’attention de ceux qui l’écoutent. En effet, si Keep It Thoro est le morceau le plus connu de l’album, la plupart des musiques sont bonnes, et sont valorisées par la présence d’un Prodigy qui reste charismatique et qui rappe toujours vrai malgré un train de vie différent, plus éloigné de celui d’il y a quelques années, l’âge et l’argent aidant.

Que ce soit sur des musiques dures (Genesis, What U Rep feat. N.O.R.E, Wanna Be Thugs feat. Havoc, Veteran’s Memorial) ou plus « légères » (Can’t Complain feat. la grosse voix de Twin Gambino, Three feat. Cormega, Trials of Love, H.N.I.C, etc.), “Pee” ne peut laisser insensible les fans de Mobb Deep et du rap new-yorkais qu’il représente toujours avec brio.

Dans You can never feel my pain, Albert Johnson parle de la “sickle cell anemia”, la drépanocytose dont il est atteint depuis son enfance. Une souffrance « physique et permanente » qu’il décrit de manière tristement belle, bien qu’il sache pertinemment qu’on ne peut pas ressentir sa souffrance. La légèreté de la musique contraste avec les propos tristes du rappeur – et de l’homme- qui évoque la souffrance, la dépression et les addictions qui découlent de sa maladie. Quelques heures après sa mort suite à cette maladie, c’est certainement à cette musique que les fans pensent, avec émotion. Pour ceux qui ne la connaissent pas, c’est une partie majeure de la vie d’Albert Johnson que vous pouvez découvrir en l’écoutant.

“My pain’s in the flesh
And through the years that pain became my friend.”

https://www.youtube.com/watch?v=1Q3V11banDQ

L’héritage de Prodigy

La suite ? Une signature chez G-Unit, le label incontournable de l’époque en 2006, suivie de quelques musiques (Outta Control) et apparitions (Window Shopper) avec 50 Cent. 5 albums solos (dont H.N.I.C 2 et 3), d’autres avec Mobb Deep malgré les tensions qu’il a eu avec Havoc lorsque celui-ci le critiquait à travers des tweets. Une peine de prison d’Octobre 2007 à Mars 2011 pour possession illégale d’arme à feu après avoir été arrêté plusieurs fois auparavant. Une autobiographie intitulée My Infamous Life publiée à sa sortie de prison en 2011.

Une carrière et une vie bien remplie qui s’est arrêtée brutalement le 20 juin 2017. À la mort d’un artiste, les souvenirs refont surface, les hommages pleuvent, les articles, les vues des clips et les ventes de disques augmentent. Comme si le monde se rappelait de l’existence de la personne en se rendant compte de sa disparition. Un sentiment somme toute normal et humain. Et comme l’a dit Lefa dans Vu la haine que j’ai, « ça dure pas plus de trois jours quand les gens pleurent un mort ». Il convient donc de rendre hommage à Prodigy, rappeur et membre du Mobb Deep, un groupe qui a marqué l’Histoire du rap.

Pour ma part, qui suit fan du rap new-yorkais des années 90, Prodigy est l’un de mes rappeurs préférés, et le Mobb Deep représente avec Nas ce que je préfère dans cet âge d’or qu’a vécu le rap East Coast à cette époque. Même s’il a été moins reconnu à sa juste valeur que d’autres rappeurs, il demeure pour moi, avec Tupac (avec qui il a été en beef), le rappeur le plus real, le plus vrai et authentique dans ses textes. Et plus encore que la technique (dans les années 90), l’argent (dans les années 2000) et la hype et les dabs (en 2017), c’est ce qui rend un artiste unique et intemporel.

Enfin, il convient également d’adresser des condoléances au membre de la famille d’Albert Johnson.

R.I.P Prodigy

https://www.instagram.com/p/BVkeVHvAqEs/?taken-by=nas

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