Au micro de RMC Sport, Julien Benneteau est revenu sur les traitements de faveur dont Roger Federer bénéficie sur le circuit. Tous les médias se sont emparés de la chose, mais peu osent s’élever contre la légende qu’est Roger Federer. Et si les privilèges du Suisse n’étaient pas si normaux que ça ? 

Veuillez ne pas nous insulter : nous aimons Roger

Qui s’est réellement soucié des résultats du Masters ces derniers jours ? Qui s’est émerveillé face à la branlée de Kevin Anderson infligée à un Kei Nishikori totalement dépassé ? Derrière cette inattention se cache un bien plus gros fait : quelqu’un a OSÉ toucher au Roi Federer. Julien Benneteau, ex-joueur de tennis au mieux 25e mondial, a mis sur le devant de la scène les privilèges attribués à Roger Federer. Avant de préciser ce dont il est question, il faut évidemment affirmer ceci : Federer est une légende du jeu, incontestablement un des plus grands, si ce n’est le plus grand, et que son impact sur le jeu, sur le marketing, sur la communication et ainsi sur la popularité du tennis est immense. Si le tennis est aujourd’hui ce qu’il est, dans tout ce qu’il y a de plus positif autour de ce sport, nous le devons en grande partie à Roger Federer. Maintenant, rentrons dans le vif du sujet.

« C’est normal qu’il y ait des privilèges… »

La grande partie des faits exposés par Julien Benneteau concerne des enjeux de programmation sur les courts. Cela concerne les principaux courts des Grand Chelem. Par exemple, à Roland Garros, les enjeux de programmation concernaient le court Philippe Chatrier, Suzan Lenglen ou encore le court numéro 1. Sur ce tournoi particulier, l’enjeu lié à ces courts est une question de profondeur puisque le 1 est moins profond que les autres, donc par exemple moins susceptible de plaire à un Rafael Nadal qui aime prendre de la distance au retour sur terre battue. Bref. Ici, les propos avancés par Julien Benneteau ne concernent pas Roland Garros, mais les autres tournois. À ce sujet, le Français affirme que « c’est normal qu’il y ait des privilèges ». Il est bien évidemment normal que Roger Federer ne mette les pieds que sur les grands courts, car il justifie à lui tout seul le prix des billets pour un Grand Chelem. Les dirigeants des tournois ont tout intérêt à mettre les vedettes sur les plus gros courts et personne ne peut argumenter contre cela.

Il arrive parfois que cet enjeu devienne tension. C’était le cas lors de ce Wimbledon, où Roger Federer a joué et perdu sur le court numéro 1 (deuxième de la hiérarchie au All England Lawn Tennis Club) face à Kevin Anderson. En coulisses, le Suisse n’était apparemment pas très heureux de se retrouver loin du temple qu’est le Centre Court. Mais il n’y a pas que Federer qui peut râler concernant la programmation, Novak Djokovic notamment n’a pas du tout aimé le traitement dont il a bénéficié en huitièmes de finale à Wimbledon cette année en commençant son match sur le court numéro 1 moins de deux heures avant la tombée de la nuit. En temps normal, la programmation propre aux courts ne cristallise pas les débats sur le circuit. En revanche, dans certains cas particuliers, il faut constater que cela pose un (gros) problème.

« … mais il y a une petite dérive. »

Là où ça coince, c’est quand il y a conflit d’intérêts. Et ce que dit Julien Benneteau prend alors tout son intérêt. L’Australian Open est le tournoi qui cristallise la plupart des tensions sur le circuit. Le premier Grand Chelem de l’année met à mal les athlètes, ce n’est pas rare de voir des joueurs à bout de force, se sentir mal voire vomir sur le coup sous l’effet du soleil et d’une chaleur étouffante. Normal, il fait régulièrement plus de 40°C à 14h, sans compter que les terrains de tennis reflètent la chaleur. Vous avez déjà essayé de jouer dans un four, vous ? Dans de telles conditions, il est évident que la course aux « night sessions » se créée. Les night sessions, se sont tout simplement les rencontres qui se jouent de nuit, à partir de 19h30. À ce moment là de la journée, la température chute aux alentours des 25/30°C, beaucoup plus confortable pour jouer au tennis. Qui peut décider de faire jouer tel ou tel joueur en night session ? Le premier nom qui nous vient à l’esprit en dehors du juge-arbitre du tournoi, est celui du directeur de l’Australian Open : Craig Tiley. Là où on est en plein dans le conflit d’intérêt, c’est que ce monsieur est aussi un collaborateur de Roger Federer dans l’administration de la Laver Cup, la compétition de tennis créée par le Suisse où s’affrontent l’Europe et le Reste du Monde. Et si l’on regarde les stats et rien que les stats : Roger Federer a joué 12 de ses 14 derniers matchs à l’Australian Open en night session, dans de bonnes conditions donc. On peut interpréter ce chiffre comme l’a justifié ce même Craig Tiley : Roger Federer est le plus grand tennisman du monde et les night sessions sont privilégiées par les annonceurs, car c’est le moment où les gens sont disponibles pour regarder du tennis. Il est donc normal que Roger Federer fasse partie de cette night session, car les gens veulent voir Roger. Certes.

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Mais on ne peut pas sacrifier sur l’autel du marketing l’équité dans le tennis. Bien évidemment qu’il y a un biais. Jouer à 40°C au tennis à 14h30 sous un soleil de plomb est totalement différent que de jouer sous 25°C. Les effets immédiats sur le corps sont bien plus lourds, et la récupération n’est absolument pas la même. Ce ne sont pas les mêmes conditions, ce n’est pas le même tournoi, ce n’est tout simplement pas le même sport ! Interrogé sur ses préférences après un match en soirée, Roger Federer avait déclaré : « Si je peux, je préfère jouer encore en soirée, avait-il dit. Je demanderai à jouer le soir, parce que j’ai joué en soirée aujourd’hui, et c’est plus facile que d’enchaîner soirée puis journée. C’est meilleur pour le rythme. » En niant totalement l’impact météorologique sur les corps et les esprits, Federer néglige un aspect essentiel du tennis et du sport en général. Quid de l’équité ? Quel but ? Quel intérêt ? Quelle gloire dans la victoire que de posséder dès le départ un avantage physique et moral lié à une préservation volontaire ou non des conditions météorologiques que les autres se prennent en pleine tronche ? Federer a 37 ans, certes, mais il a encore suffisamment de tennis dans la raquette pour casser des culs sur chaque tournoi, peu importe où, et quand il joue. Si c’est un problème d’âge, faites jouer les vieux en night session. Ce n’est pas le cas puisque Karlovic, 39 ans, a joué trois tours en Australie, à chaque fois en journée. Si c’est une question d’aura et de réputation, pourquoi avoir mis Djokovic, recordman de victoire sur ce Grand Chelem, sur le feu du soleil australien sur ses premières rencontres, dont une face à Gaël Monfils qui constituait le choc de la journée ?

Arrêtons avec cette Federer-mania poussée à l’extrême

En réalité, le mal n’est pas si profond. C’est juste une histoire de qui va être « avantagé » sur une rencontre en jouant dans des conditions moins traumatisantes que dans un sauna. Ce qui est assez troublant si ce n’est dérangeant, c’est que peu de gens dans la communauté tennis osent toucher à Roger Federer et ses privilèges. Pire, personne ne doit toucher à Roger. Comme si l’éthique dans un sport devait disparaître pour qu’un individu légitimement au-dessus de tous puisse continuer d’exercer sa domination. Cette perspective est dangereuse pour deux raisons.

La première raison est la suivante : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Désamorçons ce blasphème : le Suisse mérite tout le triomphe qu’il suscite auprès du public. Que ce soit le grand public comme ceux qui sont passionnés. Mais s’il a effectivement été « aidé » dans la programmation au fil des années, certains raccourcis peuvent se créer. De manière très personnelle, je préfère garder en tête l’image d’un Roger légendaire sur le circuit grâce à ses attributs techniques et physiques plutôt que celle d’un Roger dominateur, car privilégié par les organisateurs sur un ou deux tournois.

Il est aussi nécessaire de prendre un peu de recul sur Roger Federer. La voici la deuxième raison pour laquelle il faut arrêter la Federer-mania à l’extrême. Mouillons-nous la nuque : Roger Federer va vite atteindre l’âge de la retraite. C’est inévitable. À 37 ans, même s’il nous impressionne encore de par son aisance physique, Roger a de plus en plus de mal à relancer la machine après chaque coup d’arrêt. Quoi de plus normal ? Mais nous sommes tellement obnubilés par ses moindres gestes que l’on oublie de voir ce qu’il y a à côté. Et ce constat vaut aussi pour les adorateurs de Rafael Nadal qui tient de moins en moins le coup physiquement : enlevons ces œillères et regardons le futur de l’ATP et la WTA. Cela ne veut pas dire totalement passer à autre chose, car il est nécessaire de profiter de ces deux légendes tant qu’il en est encore temps, mais il sera surtout question de s’intéresser aux Zverev, Khachanov, Tsitsipas, Umbert, De Minaur et consorts qui prouvent jour après jour que le circuit est plein de promesses.

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Le départ de Roger Federer va laisser un vide immense dans le cœur des fans et à raison : le Suisse est l’un des plus grands si ce n’est le plus grand. Mais pour le bien de notre sport, mais aussi de sa réputation, arrêtons de tout cautionner et de normaliser certains privilèges qui font défaut à l’équité dans le tennis dès lors qu’il s’agit de Roger Federer.

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