Stan, certifié classique

Un classique avec un grand C. Sorti sous les empreintes Aftermath, Interscope et Shady Records, Stan en featuring avec la chanteuse Dido reste un morceau d’une qualité rare tant au niveau de l’écriture, du flow que de la production. On vous replace tout le contexte.

Nous sommes au début des années 2000, le rap reste toujours un courant musical pertinent qui vient de produire dans la décennie précédente ses plus grandes figures emblématiques. Parmi ces nombreux artistes, on peut citer N.W.A, 2Pac, Notorious BIG, Mobb Deep ou Nas qui ont notamment sorti les plus grands albums du hip-hop (Straight outta Compton, Illmatic, All Eyez on Me, Ready to Die, The Infamous). Cette époque que l’on fait référence dans l’histoire comme le “golden-age of hip-hop” a commencé en réalité depuis la fin des années 80 (Run DMC, Public Enemy, De La Soul…) et se distingue par la qualité des textes écrits, la volonté d’innovation, l’impact de la provenance géographique et l’influence des rappeurs auprès de leur public. C’est ainsi dans les années 90 que de nouvelles tendances se distinguent au sein du hip-hop (rap east coast/west coast, gangsta rap, g-funk), mais également que de nouveaux artistes font leur apparition. Parmi eux, un rappeur venu de Détroit: Eminem.

Avant la sortie de Stan le 9 décembre 2000, le rappeur est déjà signé sur Aftermath et Interscope, labels dirigés par ceux qui vont devenir les plus grandes pointures de l’industrie musicale, à savoir Dr Dre et Jimmy Lovine. Fort de titres comme My Name Is, Role Model ou Guilty Conscience, Eminem commence donc progressivement son ascension fulgurante. Néanmoins, il lui manque l’album phare qui va le démarquer de la concurrence déjà assez forte, mais surtout l’innovation qui va lui permettre de marquer les esprits.   

 

Dans cette nouvelle décennie, Eminem et son entourage ont ainsi l’ingénieuse idée de capitaliser sur deux tendances fraîches dans l’industrie musicale: le rap avec des textes assez catchy ou contenu très imagé, et l’émergence du R&B comme courant véritablement mainstream. C’est donc dans ce contexte que sort Stan, extrait de l’album Marshall Mathers LP, lequel sera vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde et placera le rappeur comme un artiste hip-hop à part entière.

Stan raconte l’histoire d’un fan/stalker obsessif du rappeur qui fait tout pour lui ressembler et qui tente de l’atteindre par tous les moyens. Toute la chanson se base donc sur un monologue de Stan s’imaginant parler à son idole à travers une lettre pour finir sur une réponse d’Eminem, tout ceci dans une version rappée impeccable. Le premier couplet interprété par Eminem en tant que Stan commence doucement par l’interpellation du rappeur sur une lettre non répondue de sa part. Au fur et à mesure de la chanson, le ton monte dans l’écriture, la déception du fan de n’avoir aucune réponse se fait progressivement ressentir mais aussi son identification quasi fusionnelle avec Eminem (If I have a daughter(…) I’mma name her Bonnie / I can relate to what you’re saying in your songs / I even got a tattoo of your name across the chest / You gotta call me man, I’m the biggest fan you’ll ever lose)

Cette déception se transforme ensuite en rage et colère où Stan fait référence à son idole dans le 3e couplet par la phrase “Dear Mr Too-Good-to-call-or-write-my-fans”. Ces relances sans réponse conduisent finalement au suicide du fan et ses dernières paroles pour son artiste dans une ultime cassette audio. Le dernier couplet est alors celui d’Eminem en personne qui finit par avoir les écrits quelques semaines plus tard. Il s’excuse du long délai de réponse dû notamment à un emploi du temps chargé et au dysfonctionnement du service postal n’ayant pu acheminé les lettres à temps. Bien que flatté par l’admiration de son fan, il l’encourage à ne pas commettre d’acte irrémédiable. Les dernières phrases dans le couplet font alors réaliser à Eminem que Stan est probablement la personne dont il a entendu parler du suicide aux infos quelques semaines auparavant, et qui a laissé une cassette sans destinataire identifié. On note ainsi les paroles : I just don’t want you to do some crazy shit / I seen this one shit on the news a couple weeks ago that made me sick: Some dude was drunk and drove his car over the bridge(…) Come to think about it, his name…it was you…Damn)

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L’écriture du texte mettant en scène ce dialogue entre Eminem et son fan ainsi que sa théâtralisation fait de Stan un morceau extrêmement imagé et innovateur pour l’époque. On souligne à cet effet l’incroyable flow d’Eminem qui change expréssement son timbre de voix pour interpréter les couplets rappés des deux personnages. La montée de l’agressivité se fait également ressentir dans l’écriture de ce texte, ce qui met en avant la maîtrise d’Eminem à écrire des textes à haute valeur émotionnelle : Chaque ligne, chaque syllabe est ainsi pesée et réfléchie pour contribuer au puzzle global. Au niveau de la production musicale, on retrouve le producteur The 45 King que l’on entend également sur le mythique Hard Knock Life (Ghetto Anthem) de Jay-Z. La contribution de Dido sur les refrains et à travers l’utilisation du sample d’un de ses propres morceaux (Thank You) est indéniable et donne à la chanson son côté mémorisable, légèrement Pop/R&B.

Au niveau culturel et plus de 10 ans après, l’héritage de ce morceau est énorme. D’abord carton dans plusieurs pays, le titre est aujourd’hui considéré comme une signature sonore d’Eminem et du hip-hop de manière générale. Sa contribution dans la culture populaire est telle qu’elle a fait l’apparition dans le très prestigieux classement du Rolling Stone des 500 plus grandes chansons de tous les temps ainsi que dans le Rock n Roll Hall of Fame.

Un album entré dans la légende.

Un album entré dans la légende.

Par ailleurs et comme souligné auparavant, il positionne Eminem comme un pionnier et un trendsetter. De par sa couleur de peau et de son origine géographique (ni côte est, ni côte ouest), le rappeur a ainsi réussi le pari audacieux de faire tomber plusieurs barrières et stéréotypes au sein du rap, pour remettre celui-ci au premier rang. Sur le plan musical, il réussit également le crossover des milieux Pop/R&B par l’intermédiaire de son duo avec Dido, chanteuse anglaise, ce qui renforce son impact de lever les barrières géographiques et toucher un public large.

A cet effet, on remarque ensuite dans les années 2000 l’exploitation du filon par de nombreuses maisons de disques qui misent sur les duos et la fusion des genres. On note ainsi le hit Dilemma du rappeur Nelly et de la chanteuse de R&B Kelly Rowland, So Into You du rappeur Fabolous et de la chanteuse Tamia, Always On Time de Ja-Rule et Ashanti ou encore I Need A Girl (part. 1) du rappeur Puff Daddy en featuring avec Usher.

Par ce morceau et l’album qui l’accompagne, Eminem a donc certainement ouvert la voix à d’autres ne répondant pas aux critères jadis requis pour faire du rap (couleur de peau, milieu US, provenance de l’est ou ouest…). Par son impact, on aura ensuite droit à d’autres rappeurs beaucoup plus tard comme Kanye West. Mais c’est une autre histoire.

By Setry

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