Les ambitions affichées pour cet album ont été élevées, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la Prose Élite. L’élite de la prose, dont il tient l’affiche – via la pochette de l’album – avec Victor Hugo. L’écriture est au cœur du projet et au service des thèmes socio-politiques que Médine aborde, sans oublier les quelques moments de sa vie qu’il partage et les story-tellings qu’il a l’art de mettre en scène sur disque.
Sur cet album, Médine est redevenu un artiste indépendant suite à son départ de la maison de disque Because en 2014, juste après la sortie du précédent album « Protest song ». Une démarche qui permet – a priori – d’avoir une plus grande liberté et une plus grande autonomie au détriment d’une charge de travail plus importante et d’une exposition moindre.
Cependant, le public et les connaisseurs savent que l’exposition et les ventes ne sont forcément pas le but premier du rappeur. Après avoir défriché le terrain avec son excellent EP Démineur, Médine faisait son retour dans les bacs, armés de ses textes et de sa voix rauque, pour marquer l’avènement de la Prose Élite.
Comme toute bonne intro qui se respecte, le premier titre pose les bases de l’album. Un long couplet égotrip d’environ trois minutes où l’on entrevoit déjà le nouveau (ou plutôt le différent) flow de Médine, proche de ce que l’on a l’habitude d’entendre depuis quelque temps, mais avec cette même subtilité dans les paroles. Outre la référence à Genghis Khan, célèbre empereur mongol du XIème siècle, Khan est également le nom de son dernier fils.
“Dans les concerts de métal, on m’appelle Magnéto
Sur l’cover c’est bien Victor Hugo”
Sur la deuxième musique intitulée Urbain Ier, Médine joue sur les mots en s’autoproclamant Urbain Ier, le nom emprunté par les papes lors de leurs investitures, et premier sur l’urbain, que l’on peut étendre à la musique urbaine, mais aussi aux milieux urbains, lui qui s’est investi dans plusieurs projets et associations dans de nombreuses villes.
“Les belles paroles ne sont pas vraies
Les vraies paroles ne sont pas belles
J’ai toujours pensé ce que je rappais
Je n’ai pas rappé tout ce que je pensais”
En 3ème position vient le gros titre de l’album. Médine a invité 7 artistes pour un gros morceau d’environ 7 minutes où chacun rend hommage à « Paname » et s’identifie au Grand Paris. C’est le nom du projet d’aménagement territorial initié en 2008 par Nicolas Sarkozy qui visait à « améliorer le cadre de vie des habitants, à corriger les inégalités territoriales et à construire une ville durable ». Un peu moins de 10 ans après cette ambition, Médine et ses invités se sont octroyé ce projet en apportant leur pierre à l’édifice, leur couplet à la musique.
“C’est nous le Grand Paris !”
Médine parle ici des problèmes sociaux et politiques qui ont eu lieu en France ces dernières années. Il dénonce les dérives d’une « nation arc-en-ciel où les couleurs se touchent sans se mélanger », et le communautarisme qui en a découlé. Il a samplé son propre morceau « Grand Médine » issu de l’EP Démineur où il prédit une guerre en 2017, probablement courant Mai… Il a également samplé des extraits des paroles d’Elliot Alderson, le personnage principal de la série Mr. Robot, qui donne sa vision pessimiste de la société.
“La société n’a plus de raison, fais-toi une raison sociale”
C’est pour moi l’une des plus belles musiques de l’album, notamment grâce au refrain chanté sur la belle musique qui l’accompagne. Médine semble parler des attentats du 13 novembre. Et lorsqu’il affirme que « quand t’allumes un feu, ne dis pas c’est la faute aux allumettes », il veut certainement dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que les responsables sont aussi bien les djihadistes que les hauts fonctionnaires, « deux faces d’une même pièce ».
“No drama, no more, c’est vos guerres, mais nos morts
J’te le répète encore : l’amour des siens c’est pas la haine des autres”
La sixième musique est également le sixième épisode de la série Enfant du destin, après Sou Han, David, Petit Cheval, Kunta Kinte et Daoud. La saga des enfants du destin est certainement l’empreinte le plus symbolique du rappeur havrais, qui entamé cette série dès son premier album. Un enfant, un contexte, un pays. Cette fois-ci, l’enfant en question est Nour, petite fille de la tribu des Rohingyas, un peuple musulman du Sud-Ouest de la Birmanie. Forcée de travailler dans une exploitation agricole, Nour doit faire face au patron qui l’exploite et tente d’abuser d’elle. Rapidement acculée, elle va chercher refuge vers Kuala-Lampur. Médine parvient encore une fois à mélanger réalisme et émotion au travers de ces destinées fictives, mais qui n’ont rien d’incongru. Un très beau titre dans lequel il s’est engagé, se rendant même en Birmanie et aidant la population locale à son échelle à travers quelques actions.
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“Enfant du destin, enfant de la guerre”Le titre éponyme de l’album se trouve au milieu de l’album. Il n’y a pas de véritable thème, seul l’écrit prend le pas. Il rend également ses lettres de noblesse au rap, dans le texte, mais également dans le clip tourné pour cette occasion, où Mac Tyer, Kery James, Soprano et Nekfeu sont mis à l’honneur ; mais aussi et surtout Victor Hugo, qui n’est jamais bien loin.
“Le rap un sport d’esclave, qui porte l’espoir
D’une jeunesse oubliée, on fait du street art sur les bancs de l’Histoire”
Après Alger pleure, présent dans l’EP Made in sorti en 2012, Médine parle une nouvelle fois de sa terre d’origine, et plus particulièrement de la révolution qui l’a menée à son indépendance en 1954. C’est l’une des gimmicks du refrain, scandé avec force par Médine.
“Les révolutionnaires ont Alger !”
Ce n’est pas la première fois que Médine fait une musique sur la place de la femme dans la société. Cela a été le cas aussi dans Combat de femmes, présent dans l’album Jihad, et dans À l’ombre du mâle (feat. Nneka), présent dans Protest Song et qui résonne comme un écho à cette musique. Ici, le titre et la musique font référence à Denis Mukwege, gynécologue et militant des droits humains congolais. Lors de la Première Guerre du Congo en 1996, il a découvert que de nombreuses femmes furent victimes de barbarie sexuelle, au point que la destruction volontaire des organes génitaux féminins soit devenue une pathologie pour ces femmes, et un moyen pour les soldats de les empêcher d’avoir une descendance. Ainsi, il a passé une majeure partie de sa carrière à défendre ces femmes victimes de viol collectif dans l’Est de la République Démocratique du Congo, que ce soit du soutien physique, mental, économique ou juridique.
“Un homme sur cent est un leader, les 99 autres suivent une femme”
Papamobile est le fruit d’une collaboration Le Havre- Nantes, entre Médine et 20Syl, rappeur du groupe Hocus Pocus, DJ du groupe C2C et également producteur. Après Urbain Ier qui faisait référence au pape, voici le deuxième clin d’œil aux pontifes : la papamobile est le véhicule dans lequel le pape se déplace. On peut y voir ici un jeu de mots entre la papamobile et « Papa mobile ». En effet, Médine parle des pères qui abandonnent leur famille, en se plaçant d’abord du point de vue de l’enfant, puis de la mère avant de conclure par celui du père. Trois destinées bouleversées par les choix de ce papa mobile qui a pris la poudre d’escampette… en automobile ! Le refrain entêtant interprété par Médine et 20Syl reste dans la tête des auditeurs. Un peu comme une Putain de mélodie, la 4ème piste de l’album 16 Pièces d’Hocus Pocus. D’ailleurs, dans ce même album, la musique qui suit s’intitule… Papa ! 20Syl y aborde son appréhension face à un futur rôle de père, toujours avec un refrain mélodieux et entraînant. Mais c’est une autre histoire pour un autre (très bon) album.
“Papa m’oublie pas dans ta papamobile”
Médine était déjà un Rappeur de force dix ans auparavant, lorsqu’il a enregistré ce classique pour la compilation Illégal Radio initiée en 2006 par Rim’k du 113. Ce dernier est d’ailleurs présent dans le clip (avec A.P qui n’est jamais bien loin de son acolyte), en conversation téléphonique avec Médine. La onzième piste de Prose Élite n’est pas une suite et n’a pas grand-chose à voir avec le précédent, qui était plus court, mais plus brutal et « égotrip ». C’est néanmoins un très bon titre dans lequel Médine rappe avec force et conviction, et sur un seul couplet, ce qui est également le cas pour les deux dernières musiques.
“Mes mots viennent de ma plume, ma plume revient de la forge
J’ai la force de la culture, face à la culture de la force”
Dans Porteur Saint, Médine fait le parallèle entre société et religion, et la perte de certaines valeurs dans notre époque moderne. Il utilise beaucoup d’images pour montrer le décalage entre l’un et l’autre, et de quelle manière la décadence du premier a provoqué l’abandon des valeurs prônées par l’autre. Le philosophe chinois Confucius a dit qu’une image vaut mille mots ; dans ce cas présent, la musique vaut mille images, et la meilleure chose à faire est de l’écouter pour comprendre et ressentir la portée des propos tenus sur une prod à la fois sombre et mélancolique.
“Si la religion c’est l’opium du peuple
C’est que le peuple a pris pour religion, l’opium”
En plus d’exceller dans le story-telling, Médine est également coutumier des longs morceaux autobiographiques, un peu à l’image d’un 28 Décembre 1977 de Kery James. Il en a fait plusieurs dans ses différents albums (Arabospiritual, Biopic), sans compter les musiques où il se livre dans d’autres contextes (Médine, Besoin d’évolution, Lecture Aléatoire, etc.). C’est aussi le cas avec Global, qui est son tout premier nom de scène, lorsqu’il rappait avec Din Records à la fin des années 90. L’occasion de jouer au jeu des 7 erreurs entre le Global d’il y a 20 ans et le Médine d’aujourd’hui. Après cette énumération sous forme d’auto-critique, il conclut en remerciant son public et sa famille Din Records, après avoir remercié Brav’ de lui avoir soufflé le titre de l’opus.
“Visière Houston, Casque de walk-man
J’suis le Benjamin Button à Din Records, les grands m’appellent Global”
À la fin du premier couplet de Global, Médine affirme que son meilleur album est celui qui n’est pas encore sorti. Il faudra donc attendre quelques années pour voir ce que Médine nous réserve de mieux, en attendant un éventuel album de La Ligue qu’il forme avec Youssoupha et Kery James. Ce qui est sûr, c’est que Prose Élite est un très bon album qui a tenu ses promesses. L’album est plus concis, plus condensé que les précédents, sans que les musiques n’atteignent le format radio de trois minutes trente cher à Kery. Chaque musique à sa place dans ce projet varié, ou Médine a mêlé l’influence « trap » à ces qualités de lyriciste. Un savant mélange que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’Hexagone, sauf peut-être chez les deux cités plus haut.
À chaque projet sorti par le MC normand, il y a toujours de nouveaux thèmes, de nouvelles histoires, de nouvelles découvertes, une nouvelle approche, etc. Cet album ne déroge pas à la règle, et j’ai trouvé les treize titres excellents. Pour ma part, qui suis un grand fan et qui ai écouté tous ses projets, je le mets dans mes albums préférés (avec l’album Jihad et le premier Table d’écoute). J’attendais beaucoup de cet album et je n’ai pas été déçu. J’ai (encore) appris beaucoup de choses et j’ai apprécié les opinions, la démarche et la direction prise par le rappeur, qui reste sensiblement la même, mais dont la vision évolue avec le temps. Un peu comme l’artiste, comme la personne, mais aussi comme le public qui le suit depuis des années. Car « y’a pas de Grand Médine sans le petit peuple » ! Par Babacar
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