En amont de l’UFC 265, nous braquons les projecteurs sur Derrick Lewis et plus précisément sur son incroyable capacité à se sortir de situations dramatiques lors des phases au sol. Nous verrons si le mythe du « Derrick Lewis just getting up » est réel ou si l’américain fait en réalité preuve d’une technicité insoupçonnée.

Le MMA, de par sa nature de spectacle, intègre une part narrative au moins aussi considérable que celle sportive. Cette part explique notamment l’importance de la personnalité, de l’histoire et de l’image publique des différents acteurs en jeu (athlètes, managers et organisateurs).

De manière plus indirecte, elle colore et influe l’interprétation que le public peut avoir des résultats sportifs de certains athlètes : il peut alors, dans certains cas, exister un décalage entre les performances concrètes desdits athlètes et la réécriture de ces dernières par la majorité des spectateurs. En ce sens, plus la personnalité narrative de l’athlète sera importante plus cette probabilité de réinterprétation sportive sera grande.

Ciryl Gane affronte Derrick Lewis en main-event de l’UFC 265, diffusé à partir de 4h du matin cette nuit à 5€ avec le Pass Combat (disponible ici).

Derrick Lewis, avec ses attributs physiques hors du commun, son jeu relativement limité et son autodérision cultive l’image d’un géant nonchalant obtenant des succès en dépit d’une flagrante pauvreté technique.

La personnalité publique de Derrick Lewis en une phrase « It’s not my fault being the biggest and the strongest, I don’t even exercise ! »

Bon nombre d’observateurs ont intégré cette personnalité médiatique dans leurs analyses et ont ainsi réduit les réussites du colosse de Houston à sa force, son athlétisme et ses caractéristiques physiques innées. Je dois à ce propos effectuer un mea culpa puisque moi aussi, lors de nombreuses interventions concernant Derrick Lewis (Cf. podcasts la Sueur), me suis laissé convaincre par ce mythe et ai relégué l’américain à une simple force de la nature évoluant dans une catégorie pauvre techniquement. Ce faisant, j’avais raté plusieurs points capitaux et avait failli à prendre en compte la subtilité des tactiques et ruses employées par « The black beast ».

En effet, Derrick Lewis n’est pas qu’un simple bagarreur au menton solide et aux poings de fer, il est aussi un compétiteur lucide ayant une compréhension aiguë de ses forces (athlétisme, explosivité, punch) et faiblesses (arsenal limité, cardio réduit) ainsi que des grandes lignes du jeu de la plupart des poids lourds de l’UFC. Cette connaissance lui a permis d’exploiter avec un maximum d’efficacité ses remarquables attributs et à surprendre bon nombre de ses adversaires. En outre, son apparente nonchalance et la justification quasi surnaturelle de ses réussites par les observateurs lui ont permis de dissimuler un bagage technique solide, plus précisément dans son jeu au sol.

Le mythe du « Just get up » en action

En réalité, lorsque l’on y regarde de plus près, le mythe du « just get up » est une déformation de la réalité et ne rend pas vraiment honneur au riche savoir-faire du natif de Houston.

Afin de faire amende honorable, je vais donc tenter d’expliquer certaines des ruses et tactiques employées par ce dernier et démontrer qu’à de rares exceptions, les succès de l’américain ne sont pas uniquement dus à sa force physique.

L’identification des failles et l’utilisation du rythme

Comme pour son striking, la principale raison du succès de Derrick Lewis au sol réside dans sa faculté à reconnaître les failles présentées par son adversaire et à être suffisamment patient pour attendre le moment critique où les exploiter. En ce sens Derrick alterne entre longues périodes de totale inaction, endormant son vis-à-vis dans une fausse certitude de contrôle, et courtes séries d’explosions lui permettant de se dégager de situations critiques.

D’un point de vue strictement technique, cette méthode semble évidente, mais Lewis fait preuve d’un raffinement dans son emploi assez incroyable. Il est ainsi prêt à concéder des positions extrêmement avantageuses à son adversaire afin d’ouvrir une fenêtre pour ses explosions :

Exemple 1 Contre Ruan Potts de 1min47 à 1m55

Après être resté inactif un petit moment en half guard, Derrick Lewis laisse Ruan Potts attaquer son bras gauche avec ce qui semble être une tentative de kimura. Lorsque l’on observe la position initiale de Potts au moment de son attaque, il est évident que son contrôle n’est ni solide ni complet : en ce sens ses jambes ne verrouillent pas la demie-garde (n’enferment pas la jambe droite de Lewis) et ses hanches ne couvrent pas entièrement celles de son adversaire. Lewis, qui a reconnu cette faille, a néanmoins patienté le temps que Potts lance son attaque et soit le plus vulnérable possible pour exploser en renversement.

Exemple 2 Contre Jack May de 0m00 à 0m06

Après avoir concédé la garde montée à Jack May, Derrick Lewis semble dans un premier temps concentré uniquement sur le contrôle de la tête de son adversaire afin de l’empêcher de se redresser. De son côté Jack May n’a pas verrouillé sa position montée (ses jambes ne verrouillent pas celles de Lewis et ses hanches sont relativement basses sur le torse de ce dernier). Lewis attend le moment où il relâche son contrôle de la tête de Jack May, anticipe le redressement de celui-ci, afin d’exploser en bridge (grâce à l’absence de contrôle de ses jambes) et se retourner. Jack May est totalement pris au dépourvu et n’a pas le temps d’adapter sa position pour éventuellement prendre le dos de Lewis.

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Exemple 3 Contre Shamil Abdurakhimov de 0m47 à 0m55

En situation de side control et menacé par une Americana sur son bras droit, Derrick Lewis laisse Shamil Abdurakhimov poursuivre son attaque et concentre alors son effort sur son bras gauche, cherchant à repousser les hanches du Daghestanais. Abdurakhimov commet alors une erreur en s’obstinant sur la tentative de soumission sans corriger préalablement son contrôle (en rapprochant ses hanches de Derrick Lewis). Derrick s’engouffre alors dans l’espace qu’il vient de créer et explose en bridge tout en continuant de repousser les hanches du Daghestanais à l’aide de son coude gauche.

Un bagage technique insoupçonné

En plus de sa capacité à reconnaître les défaillances dans le contrôle de son adversaire et son habile maîtrise du timing dans ses explosions, Lewis possède un savoir-faire technique certain lui permettant de surprendre des adversaires plus disciplinés dans leur contrôle :

Exemple 4 Contre Viktor Pesta de 3min04 à 3min08

Après être resté plusieurs minutes sous le side control de Viktor Pesta, Derrick Lewis va accroître son explosion en bridge en s’aidant cette fois-ci de la cage. En effet, Viktor Pesta est plus rigoureux que les adversaires des précédents exemples dans son contrôle en ce qu’il maintient fermement la position de ses hanches par rapport au corps de Derrick Lewis. L’américain va donc attendre que Viktor Pesta cherche à mettre en place son crucifix et utiliser la cage comme levier afin de renforcer considérablement l’effet de son explosion. Une fois le renversement effectué, Derrick Lewis poussera de ses mains libérées pour se redresser totalement.

Exemple 5 Contre Viktor Pesta de 3min28 à 3min33

Une nouvelle fois en side control, Derrick Lewis va dans un premier temps attaquer le bras droit de Viktor Pesta avec une kimura, forçant ce dernier à se défendre. Le tchèque optera pour un contrôle du genou sur le corps de Derrick Lewis afin de libérer son bras. The black beast profitera alors de l’espace créé pour placer son bras droit en underhook du côté droit de Viktor Pesta et pousser sur ce dernier afin de se libérer du contrôle du tchèque en se retournant et en se redressant dans le même temps. Nous avons ici affaire à action intelligente en plusieurs temps, démontrant une technicité inattendue de la part Derrick Lewis face à un adversaire compétent.

Exemple 6 Contre Alexander Volkov de 3min09 à 3min28

Placé sous le contrôle en demie-garde de Volkov, Derrick Lewis va construire son évasion en plusieurs étapes : Tout d’abord, il va placer ses deux bras en underhook (sous les bras de Volkov) puis les joindre afin de verrouiller son bodylock et ainsi de limiter la progression du géant russe. Sentant son adversaire chercher à se redresser (à partir de 3min21), il va sortir ses hanches de la garde du russe et les pousser vers l’extérieur en s’aidant de ses deux bras ; en rompant le bodylock, il va ainsi pousser de son coude gauche sur le sol et, dans le même temps, utiliser son bras droit en levier pour se relever (utilisant une variation du whizzer). Encore une fois, cette construction technique n’est pas appréciée à sa juste valeur et passe plutôt inaperçue dans le cadre de ce combat.

Une occurrence du mythe

Nous venons de le voir, Derrick Lewis n’est pas simplement une simple force de la nature. Sa capacité à se relever ou à sortir de positions désavantageuses au sol s’explique avant tout par sa lucidité, son sens du timing et son bagage technique en grappling qui demeure, encore aujourd’hui, sous-évalué.

Il existe toutefois quelques occurrences où la force de Derrick Lewis s’exprime à plein de manière assez déconcertante. Ces moments semblent donner raison au mythe derrière le succès de l’américain. Ils ne sauraient expliquer à eux seuls les réussites de Derrick au sol, mais permettent de comprendre l’origine du mythe du « just get up »

Exemple 7 Contre Roy Nelson de 6min59 à 7min05

Derrick Lewis sort du side control de Roy Nelson en roulant sur son côté gauche et en repoussant de son seul bras droit son adversaire… Un tel accomplissement ne paraît possible qu’en faisant preuve d’une incroyable force physique…

Conclusion

Comme de nombreux mythes, la faculté de Derrick Lewis à sortir de situations dangereuses à l’aide de sa seule force physique est en réalité une exagération de rares occurrences, amplifiées en outre par sa personnalité publique. Si les capacités physiques hors du commun de ce dernier entrent bien évidemment en compte dans ses réussites, elles ne peuvent à elles seules les expliquer complètement.

La vérité est que Derrick Lewis, bien que limité dans son jeu, fait preuve d’une surprenante technicité dans plusieurs domaines du combat, parmi lesquels, la défense en grappling. Il est capital de ne pas l’oublier en prévision de l’UFC 265 face à Ciryl Gane.

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Crédits photosUFC

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  1. Molines Arthur

    Vraiment très intéressant à la fois techniquement et en termes de sociologie des représentations. Joli travail d’écriture, rare je dirais.

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  2. Nicolas girard

    Pourquoi est-ce que tous les journalistes disent que Cyril Gane est le premier français avec une ceinture alors même que Francis N’Gannou était déjà «le champion français» quand il a battu Stipe ?
    Déjà le champion actuel reste Francis en attendant l’unification des ceinture
    Ensuite si j’étais Francis et que je lisais toutes ces conneries, je n’aurais vraiment pas evie de me revendiquer français.

    On a DEUX champions français, c’est naze de reléguer Francis juste parce qu’on a un vendéen vs un franco-camerounais.

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  3. y voit rien

    ngannou est de nationalité camerounaise.

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  4. francois le francais

    Certains estiment qu’il est même détenteur d’une nationalité française, ce que dément le concerné. « Je combats pour le Cameroun. Je me suis vu quelque fois, peut-être à cause des sponsors que j’ai eu qui sont des entreprises françaises, retrouvé en train de porter le drapeau français. Mais je suis camerounais jusqu’à preuve du contraire », lance Francis Ngannou.

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