Il y a quelques mois, l’annonce des nominations pour les Oscars 2016 a eu l’effet d’un électro-choc dans le monde du cinéma américain. L’absence totale de noir-américains de cette liste fut l’occasion de déterrer des chiffres pour le moins accablants: ainsi depuis la première cérémonie des Academy Awards en 1929, seulement 13 acteurs et actrices noirs ont été récompensés. Pour autant la cause n’est pas à chercher bien loin, sur l’ensemble des 5700 membres de l’académie 4% sont issus de la communauté afro-américaine tandis qu’à l’échelle du pays ils représentent 15%.
La question de la représentation et du rapport avec les grands studios hollywoodiens est donc essentielle dans la compréhension et l’analyse de l’histoire du cinéma des noir-américains. Comment les noirs peuvent ils et ont-ils pu s’exprimer dans une industrie à dominance WASP ? Que ce soit en termes de réalisation, de production ou de jeu.
Il est essentiel de noter qu’au-delà de cette problématique de représentation les États Unis du début du XXe siècle (et donc de la naissance de l’industrie cinématographique) sont racistes, pratiquent toujours la ségrégation raciale et que le cinéma suit l’idéologie de son époque. Par exemple le chef-d’oeuvre de Griffith, Birth of a Nation, encore étudié dans les écoles de cinéma, est un film foncièrement raciste faisant l’éloge du KKK et présentant les noirs comme cupides, violeurs et que seule leur soumission peut les rendre bons.
Dès lors il est indispensable pour les noir-américains de faire valoir une autre image à leurs pairs et de contrer ces clichés racistes. Ainsi les films dits « noirs » sont généralement écrits, réalisés et interprétés par des noirs, mais se définissent aussi et surtout par la volonté de défendre l’image des Africains-Américains.
Entre les années 1915 et 1950, un nouveau genre de film pour les publics noirs s’est développé « les race movies », films produits, dirigés par des noirs, avec un « all colored cast ».
Ce mouvement s’applique à valoriser et promouvoir l’intégration des africain-américains dans la société américaine. Il n’y a pas de revendications pour la communauté noire, le seul modèle présenté est celui de l’assimilation bien que celui-ci passe par une certaine soumission aux personnages blancs. Ils évitent les sujets comme la pauvreté, l’existence de ghettos noirs, de crime, d’injustice sociale ou encore les inégalités de traitement entre le noir et le sud des États-Unis.
Ces films sont entièrement produits et distribués de manière indépendante, en dehors de circuits Hollywoodiens,ce qui se traduit par une faible qualité technique, raison pour laquelle beaucoup de ces films ont disparu. Néanmoins, environ 500 race movies furent produits ainsi et distribués dans des salles réservées aux cinéphiles noirs (les matins ou tard dans la nuit).
À la fin des années 20 on comptait alors de nombreux studios noirs comme le « Black Western Company » ou le « Colored Players Film Corporation ». Le producteur phare de cette période se nomme Oscar Micheaux, directeur de la « Micheaux Film Corporation » qui présentait intentionnellement des personnages noirs éduqués, prospères et intégrés pour que ceux-ci soient des modèles de réussite dans la communauté.
Si les race movies présentaient des acteurs au teint pâle pour représenter les héros et personnages positifs (beaucoup de métis), le tournant des années 60 permet l’émergence ou du moins l’affirmation d’acteurs à la peau plus foncée.
L’exemple le plus prestigieux est celui de Sidney Poitier, l’un des 13 acteurs noirs oscarisés et véritable légende du cinéma hollywoodien. Sidney grandit dans une ferme aux Bahamas. À l’âge de 15 ans, il est envoyé à Miami pour rejoindre son grand frère (ses parents craignent qu’il devienne délinquant ).
Il débarque ensuite à New York trois ans plus tard, où il exerce différents boulots et dort parfois dehors. Après avoir été recalé de l’American Negro Theater à Harlem, il réussit finalement à décrocher un rôle dans une production de Broadway. Sa carrière est lancée et il enchaîne les succès comme No Way Out, Lilies of the Field (pour lequel il obtient son Oscar en 1964) ou encore Guess Who’s Coming to Dinner ?
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Cependant sa trajectoire modèle d’un enfant du ghetto qui a réussi et est accepté par les blancs se traduit par la nature même de ses rôles: un noir intégré, mais souvent émasculé ou en tout cas complètement inoffensif. Certains l’accusent de faire le jeu du pouvoir raciste en jouant la carte du « bon noir ».
Le terme de blaxploitation est le résultat de la contraction entre black et exploitation (pour exploitation movies: productions cheap portées sur l’horreur, la violence et le sexe).
Ces films, destinés à un public noir, sont ainsi des films de genre comme des westerns, des films d’horreur, des comédies et surtout des films de gangsters.
Cette période d’une petite décennie est celle des personnages badass, de musique funk, soul, du sexe et de la revendication de la culture noire-américaine. Ces films sont généralement produits, réalisés et interprétés par des noirs; de plus les bandes originales sont composées par des grands noms comme Gil Scott Heron, James Brown, Curtis Mayfiels, Barry White ou encore Marvin gaye.
En termes de scénarii, les histoires se ressemblent. Un jeune homme noir avec tous les attributs de sa culture (look, coiffure, argot, attitude rebelle) défie la police et l’autorité.
Cinématographiquement c’est aussi une révolution. À cause du peu de moyens financiers et techniques, les réalisateurs sont obligés d’innover et de définir un nouveau style. Le montage est très rythmé, reposant souvent sur la musique, les mouvements de caméra sont rapides, l’image très sombre. L’importance accordée au décor est aussi considérable, la rue étant un élément caractéristique des intrigues des films de la Blaxploitation.
Le message de ces films est bien sûr considéré comme subversif, mais il faut noter que les productions hollywoodiennes des années 60 ont déjà déplacé le curseur de ce qui peut être montré à l’écran avec des films comme Le lauréat ou Bonnie and Clyde qui présentent déjà une remise en question de l’Amérique et de ses valeurs traditionnelles (capitalisme, religion, famille…).
L’exemple du premier film de la Blaxploitation: Sweet Sweetback’s Baadasssss song
Réalisé par Melvin Van Peebles dont il s’agit du troisième film, SSB est l’exemple type du film de Blaxploitation. C’est un film à tout petit budget, tourné en un mois et dans lequel Melvin Van Peebles a quasiment tout fait. En effet au-delà de son poste de réalisateur, il l’a également produit, monté, il joue dedans et enfin il en a composé la bande originale.
L’histoire se résume ainsi: après avoir sauvé un Black Panther des mains de policiers racistes, un jeune prostitué noir prend la fuite avec l’aide de sa communauté et de quelques Hells Angels désillusionnés.
On retrouve ainsi la dimension caractéristique de ces films à savoir la subversion, l’esprit de révolte. Le film se termine d’ailleurs sur le message “ Watch out, a baad asss nigger is coming back to collect some dues”. Mais on trouve également l’idée d’entre-aide dans le ghetto, d’union des noirs en dépit des lois et de l’autorité blanche, ce qui est révélateur de la volonté des jeunes noirs de l’époque de s’émanciper de leurs parents et de la culture de l’intégration qui, bien que la ségrégation ait pris fin, ne voit pas la société évoluer et se tourne de plus en plus vers la real life.
Le film connut un succès incroyable même s’il coûta à Van Peebles une mise à l’écart des productions pendant quelques années. Son héritage est encore présent dans le cinéma US mainstream avec comme point d’orgue le cultissime Boyz ‘n da Hood.
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