Quand on navigue sous pavillon « UFC » au large des côtes du MMA, il faut savoir se serrer la ceinture. À moins que vous ne soyez capitaine, couronné, ou une légende des Océans, votre paye ne vous permettra pas grand-chose une fois de retour sur la terre ferme.
C’est en ce moment le plus gros problème auquel doit faire face l’organisation américaine. Rien n’est fait pour améliorer les conditions de travail, les relations se détériorent et la mutinerie commence à gronder. Calez votre œil derrière la longue vue, on vous fait un topo des forces en présence.
L’argent est la mesure de tout comme dit toujours mon Grand Père. Et dans un domaine ou votre profession consiste à pousser, casser et user votre corps chaque jour un peu plus, la balance aurait bien besoin d’une révision.
Il est généralement constaté que lorsqu’ils ne sont pas champions, les combattants de MMA sont payés au lance-pierre par leur organisation. Mais pour l’UFC, qui a en 2015 généré plus de 600 millions de dollars, on a quand même la désagréable sensation que quelque chose a dû se perdre lors la redistribution.
Nate Diaz par exemple, s’il ne s’était pas transformé en bâton et catapulté dans les roues du VTT irlandais en début d’année, en serait toujours à son ancien contrat ; 20.000$ pour combattre – 20.000$ pour gagner. Il était pourtant une des figures les plus populaires de l’organisation à ne jamais avoir décroché de ceinture. Et si vous trouvez que c’est déjà pas mal, dites-vous que primo il n’en touchera même pas la moitié (taxes + entraîneurs + camp d’entraînement = adieu le canapé, les sièges massant) et secundo on parle quand même d’un secteur ou vous avez toutes les chances de finir avec d’irréparables lésions cérébrales perchées sur un corps en ruine.
Ça n’est qu’un exemple parmi des dizaines, mais il reflète parfaitement la situation, le problème est réel et tout le monde en est conscient.
On s’était donné rendez-vous dans 10 aaans
Rich Franklin, ancien Champion Middleweight avant de se faire poinçonner le crâne par Anderson Silva, disait en 2014 quand on lui parlait de sa fin de carrière que « Les paies de l’UFC ne permettent pas de s’assurer une retraite. (…) En NFL si le contrat ne satisfait pas, j’ai 31 autres équipes que je peux aller tester. Le problème c’est que l’UFC est le seul joueur en ville ». Ça, c’était il y a deux ans.
La bonne nouvelle c’est que depuis cette époque, le marché s’est ouvert et la compétition musclée : c’est littéralement une brèche taille « Titanic » dans la coque de l’UFC. Et qui dit compétition, dit enchères dans les offres.
Autrement dit, les autres joueurs sont arrivés en ville. Ils se nomment par exemple Bellator (avec son roster toujours plus consistant), Rizin (et ses salaires de PDG de Renault), ou encore One FC (affichant une couverture médiatique croissant en Asie à la vitesse d’un cavalier Mongol)… Les « options B » commencent donc à se faire de plus en plus alléchantes et notre caste guerrière ne s’y est pas trompée :
Ce n’est là qu’un échantillon des combattants les plus médiatiques. Et ne représentant que ceux qui ont décidé de changer d’organisation, parce qu’il y a aussi ceux qui ont tout simplement fait une croix sur leur carrière après avoir trouvé une voie plus lucrative.
Le vent est en train de tourner et nous sommes à un moment charnière pour le sport.
Histoire de bien saisir l’ampleur du problème, imaginez-vous que si les salaires moyens des combattants à l’UFC ont toujours été bas, avant juillet 2015 ces derniers avaient au moins la possibilité d’afficher des sponsors sur leurs shorts, t-shirts et bannières quasiment comme ils l’entendaient. On utilise « quasiment », car déjà à cette époque l’UFC commençait à mettre son nez dans les affaires en prenant un pourcentage de plus en plus gros sur le deal entre combattants et sponsors, ce qui poussait à la fuite les marques les plus modestes.
Mais ce fameux 7 juillet 2015, lors de l’officialisation en grande pompe du « Deal Reebok », la plupart des combattants auraient tout aussi bien pu passer une heure devant un gif d’eux même se mangeant une balayette.
Au hasard, Dan Henderson
La politique de l’association entre Reebok et l’UFC est grosso modo celle de la tolérance zéro avec les autres sponsors. Vous imaginez donc à quel point la source de revenus s’est dramatiquement tarie pour les fighters.
Pour faire court, vous pouvez conservez tous les sponsors que vous voulez (attention ça va aller très vite *roulements de timbales*), maaais vous n’avez juste pas le droit de les afficher pendant toute la semaine du combat. C’est-à-dire ni aux conférences de presse ni à la pesée (Nate Diaz s’est même mangé une amende pour avoir mis un JEAN lors de sa pesée contre Johnson ! Il a par la suite tenté le trollage de la décennie en assurant que c’était un jean Reebok… Sans succès), ni entre le vestiaire et la cage et SURTOUT pas dans l’octogone. Les seules marques que vous serez autorisés à porter sont les produits de la gamme Reebok, et, si vous avez un partenariat avec eux, « Monster Energy Drink ».
À l’heure où le sport est en progression exponentielle grâce aux superbes directions marketing de l’équipe UFC, les revenus des principaux concernés sont purement et simplement amputés.
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Mais là où ça devient intéressant, c’est que cette possibilité d’afficher leurs sponsors, qui constituait pour eux la principale arrivée d’argent, ils l’auront librement dans toutes les autres organisations. Et croyez-nous, l’info n’a échappé à personne.
Pour ne pas être de mauvaise foi, il est nécessaire de préciser que Reebok a tenté d’établir un système de paiement pour équilibrer la perte de revenus.
Les salaires sont déterminés en fonction du nombre d’apparitions du combattant sous la bannière de Zuffa. En gros le nombre de combats à l’UFC, au WEC et au Strikeforce (à partir de 2011, date du rachat de l’organisation par Zuffa LLC).
Alors non seulement c’est une belle crotte de nez jetée au cuir chevelu des combattants d’expérience qui ne sont juste pas passés par les « bonnes » portes, mais même l’échelle de salaire en elle même est un régime drastique et forcé pour 80% du roster. Jugez plutôt.
bout = combat (et cottage cheese = fromage blanc, c’est gratos pour ceux qui passent le TOEIC)
Pour les nouveaux arrivants, qui commencent leur carrière et n’ont ni les sous, ni les compétences, ni le temps de démarcher de potentiels sponsors, c’est sans doute profitable. Tout comme ça l’est pour les vieux briscards de l’organisation qui n’ont jamais été très populaires (Gleison Tibau ou Scott Jorgensen, sans vouloir cafeter). Mais c’est à peu près tout.
Vitor Belfort a avoué avoir perdu plusieurs millions depuis l’instauration du deal. Georges St Pierre refuse de revenir à cause de lui. Brendan Schaub et Tim Kennedy, les rares qui ont pu en parler publiquement sans peur des représailles, ont affirmé être déficitaires de plusieurs dizaines de milliers de dollars par combat. Et pour tous les combattants au statut honnête sans réellement briller dans la cage ou les médias, c’est un énorme coup dur.
Brendan Schaub avant le deal Reebok aka « l’homme-sandwich » aka « la version IRL d’une voiture NASCAR »
Alors bon, faire du boudin c’est bien joli, mais les portes de sortie ?
La solution à tout ça pourrait venir d’une « Union des Combattants ». Un organisme qui aurait un vrai poids dans les négociations et qui pourrait, par son pouvoir dans la représentation de tous les acteurs, pousser à la revalorisation des conditions de rémunération et de travail en général. Mark Hunt a appelé au soulèvement, Donald Cerrone a affirmé qu’il n’aurait aucun problème à devenir le visage de l’Union et tout un ensemble d’anciens de l’UFC a déjà lancé le MMAFA (MMA Fighters Association) pour démarrer un effet « boule de neige ». Les choses devraient prendre un tournant pour le moins intéressant dans les prochaines années, sous réserve que tout ça s’organise concrètement.
Pour finir sur une note plus légère, on peut aussi discuter du look des kits Reebok. Déjà hors de prix à la base (comptez 80$ pour le t-shirt floqué McGregor, comme celui qu’il porte dans la cage), le design des kits en eux même a été assez sévèrement bâché par les combattants. Jose Aldo avait déclaré qu’ils avaient « l’air de Power Rangers » et que « c’etait de la merde », quand Tim Kennedy conseillait à Reebok d’au moins faire essayer leurs produits aux femmes avant de les sortir pour leur éviter de ressembler à des « trains de marchandises », et d’ajouter « à chaque fois qu’ils tentent quoi que ce soit, c’est juste horrible ». Ça va ? Vous la sentez là, la bonne ambiance de travail ?
Mais le meilleur reste à venir : figurez-vous qu’aux débuts de la ligne de sportswear, Reebok avait même réussi à saboter et confondre des noms de combattants ! Véridique ! On pouvait par exemple lire « Giblert » à la place de « Gilbert » sur le jersey de Melendez, ils ont commercialisé un « Marcio ‘Lyoto’ Alexandre » au lieu de « Lyoto ‘the Dragon’ Machida » et ont même réussi une magnifique omelette sans sauce en mixant magistralement Anderson Silva et Jose Aldo pour un maillot « Anderson Aldo » du plus bel effet.
<3
Des gaffes un peu plus sérieuses ont néanmoins dû rapidement être retirées de la vente. Un t-shirt « Ireland » avec la carte du pays par exemple, alors vendu sur le site avec le slogan « montre ton allégeance territoriale » et sur lequel les mecs ont quand même « oublié » d’inclure l’Irlande du Nord. Après des décennies de guerres civiles et une plaie à peine cicatrisée dans les esprits, on est quand même à quelques grains de malt d’un véritable incident diplomatique.
Si l’UFC est en route vers une image et une importance planétaire du niveau de la NFL, la NBA et la NHL, il est important de préciser un chiffre. Dans les 3 organisations susnommées, les revenus propriétaires/athlètes se déclinent à 50-50. À l’UFC, on en est à 90-10, je vous laisse deviner en faveur de qui.
On dirait bien que le Capitaine de vaisseau s’est octroyé une bonne partie du butin. Mais si le navire est bel et bien « inéchappable » (les contrats avec l’UFC sont célèbres pour être de véritables sables mouvants), il n’est pas dit que la redistribution en faveur des combattants ne vienne pas d’une mutinerie style « l’Île aux Trésors ».
Pirates, Corsaires et Écumeurs de Mers : Affaire à suivre.
Bonjour LaSueur,
Bien qu’il ait un ton (très…) ironique, au bord même du sarcasme, je vous félicite car je trouve votre article agreable à lire. Il est très bien écrit.
Sportivement,
XAVIER FOUPA-POKAM
Merci beaucoup Xavier,
De votre part, cela nous touche beaucoup.
Bon courage pour la suite,
La Sueur & Rust
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