Non, le plus ancien jeu de pelote ne tire pas sa source d’une grivoiserie qui se serait professionnalisée ni d’une vieille coutume basque aux mains calleuses. Et si une triple négation bien salée en guise d’introduction aura certainement pour effet de faire marrer le chaland à Guérande, elle n’effarouchera pas pour autant les doctes assoiffés de pourquoi, aux investigations gloutonnes et aux curiosités avides, attendu que nous nous apprêtons à survoler un sujet aussi fascinant qu’impénétrable : l’Ulama, ou jeu de pelote méso-américaine. Car si nos ancêtres ont tutoyé les cimes de la finesse et de la tactique diaphane à travers des sports tels les highland games ou le calcio, il ne faut pas s’imaginer qu’un océan suffise à dissoudre les germes de la connerie humaine. Ceux-ci ont tellement bien poussé que plusieurs milliards de massacres à la tronçonneuse ne suffiraient pas à l’élaguer. Notre jeu de la pelote en atteste : si la bêtise avait un drapeau, il arborerait un dépositaire du mandat divin et un sportif aux pectoraux galbés, main dans la main, ou dans la gueule, sur fond rouge ; il flotterait au-dessus de toutes les contrées habitées, dans toutes les chaumières et sur toutes les landes à herbe rase, à tous les siècles et toutes les époques, y compris en cette Amérique centrale de naguère, où les pyramides pointaient vers la lune dans le corsage doux de la jungle et où les oiseaux venimeux s’accouplaient sans heurts aux serpents à plumes. L’Ulama témoigne de ce métissage purement humain, entre ingéniosité et absurdité sans bornes. Nous entrons en effet dans un domaine qui ferait passer la soule pour une bouffonnerie de pétochards, puisque les enjeux en sont un tantinet différents. Commençons notre tour d’horizon.
Le jeu de la pelote est apparu au 2e millénaire avant J-C. Se répandant très vite dans toute la société maya et en devenant le sport populaire par excellence, il s’est décliné sous une kyrielle de formes et de pratiques. Resituons tout d’abord ce qu’était la civilisation maya, pour ceux qui étaient trop occupés à tripoter fiévreusement leur voisin de table avec le bout rond des ciseaux lors des absorbants cours d’histoire de 6e. La civilisation maya s’est étendue d’approximativement de 2600 avant notre ère à 1520 apr. J.-C., bien que son déclin, pour diverses raisons, se soit amorcé dès les VIIe et VIIIe siècles, réduisant la population maya à sa portion congrue pour laisser place à d’autres cultures dominantes. Cette civilisation recouvrait, peu ou prou, le Belize, le Guatemala et les actuelles régions du Chiapas et du Yucatán au Mexique — pour la petite histoire, dans cette dernière région, selon la légende, Cortès aurait demandé à un Maya comment s’appelait sa contrée, et celui-ci aurait ingénieusement répondu « u-yuk-a-tan », soit « je ne comprends pas » en Maya. Cette information mérite d’être retenue, car elle n’a absolument aucun intérêt pour la suite de notre exposé. La civilisation maya, extrêmement hiérarchisée, foncièrement religieuse, perdura donc la bagatelle de quatre millénaires et s’écharpa tout autant, puisque divisée en une constellation de cités-États et régions autonomes, qui rivales de Tikal, qui alliées de Nakbé, qui vassales d’Ek’ Balam, qui suzeraines de Sabbat, etc. Cependant, une forte identité culturelle reliait ces cités, une identité forgée par la spiritualité, les structures politiques et le quotidien partagé. Cette identité, bien utile, permettait par exemple aux mineurs réduits en esclavage de ne pas trop se retrouver dépaysés lorsqu’ils se retrouvaient vendus au prix de deux dindes adultes et d’une poignée de haricots noirs sur le marché aux enfants d’une ville antagoniste. Le jeu de la pelote participa allègrement à l’érection du marqueur culturel sportif dans la société maya. Remarquant que deux mots qui ne devraient pas d’ordinaire se côtoyer dans un texte se retrouvent ici à moins de deux lignes l’un de l’autre, passons à présent aux spécificités de notre jeu.
Assidue chez nombre de peuples précolombiens de Méso-Amérique, la pratique chevronnée de ce sport s’interrompit à l’arrivée des Espagnols au XVIe siècle. Peut-être les Mayas en avaient-ils déduit la venue de Carles Puyol, la divinité à tête de lama, nul ne le sait… Seules quelques gravures, des écrits de codex maya, des équipements et des terrains ont été retrouvés à nos jours. Ces derniers, à la manière du jeu du pélican, variaient selon les régions. Le plus grand terrain de pelota retrouvé à ce jour se situe à Chichén Itzá, dans la péninsule du Yucatán, si vous comprenez bien. Effectuons un rapide point sur sa forme. Le terrain avait dans de nombreuses cités une structure en H aplatie à l’horizontale. Dans la barre centrale de ce H se situait l’allée principale où se tenaient les joueurs. Des talus jouxtaient les deux côtés de cette allée. Les pieds du H composaient la zone terminale de chaque équipe, vraisemblablement peu usitée. La majeure partie du jeu se déroulait dans l’allée bardée de talus, l’un donnant vers l’est, l’autre vers l’ouest. Un court muret séparait ceux-ci de la chaussée centrale. Les deux talus contenaient chacun, en leur centre, un anneau de pierre, disposé à la perpendiculaire, de sorte que le trou soit orienté sur un axe nord-sud. Deux équipes de deux à douze joueurs s’y affrontaient. Chaque équipe restait dans son camp, de part et d’autre d’un axe transversal, à la manière du volley actuel.
Dans la majorité des cas, il était interdit de toucher la balle avec les mains du bas et les pieds du haut. En somme, hanches, genoux, coudes, tête, postérieur, abdominaux, côtes flottantes et testicule droit étaient les parties autorisées pour frapper la balle. La marque de point varie selon les lieux et les époques. Certaines régions permettaient le rebond au sol, pour d’autres il était facteur de points perdus, à la manière encore du volley. Taper dans la balle avec une partie du corps illicite ou la faire sortir des limites du terrain ôtait un point et en donnait un à l’équipe adverse. Dans le cas où la rencontre se déroulait sur un terrain ourlé de talus à anneaux, toucher l’anneau faisait marquer un point, et rentrer la balle dans l’anneau — fait aussi rare qu’un doublé de Fabrice Fiorèse — permettait de gagner instantanément la rencontre. Si ce sport semble à vue de merlan se rapprocher du volleyball, c’est que nous n’avons pas encore précisé en présence de quoi il se jouait. La balle, pleine et non gonflée à la manière de nos ballons de bleusailles actuels, pesait en effet trois bons kilogrammes. Si les règles et pratiques étaient fabuleusement diversifiées (certaines régions jouaient à la batte, pour simplifier l’affaire et certainement élucider courtoisement quelques soupçons de dopage à la fin du match), le point commun de tous les jeux de balle en Méso-Amérique fut bel et bien la texture et la composition même de cette balle. Lançons-nous dans une comparaison facétieuse : jouer à toutes les déclinaisons sportives à balle de notre région du monde avec le même référentiel principal reviendrait à penser que l’on pourrait aujourd’hui pratiquer le rugby, le handball, le biathlon et le lancer de marteau avec une balle de ping-pong. Trépidant.
Cette fameuse balle avait des propriétés bien particulières. Elle était de caoutchouc, matériau hautement sacré pour les Mayas. De fait, de prime abord, elle paraissait renvoyer Newton au cours élémentaire puisqu’elle rebondissait sur le sol au lieu d’y rester plaqué comme toute bonne matière un tant soit peu bien éduquée. Après, de là à en faire tout un pataquès et à définir qu’elle faciliterait le contact entre les hommes restés sur terre et les dieux fourrés dans le ciel… Si, on voit bien, le coup du rebond assurément. Mais ça paraît gros. D’autant plus qu’il faudrait une borne Bluetooth pour activer le contact, ou une carte sim. Et l’on doute fort que les Mayas eussent possédé des cartes sim. Quoiqu’après tout, Nibiru eût fort pu passer par là, les recherches actuelles n’étant pas exhaustives… Qui plus est, le rebond serait une analogie manifeste entre la balle, rotonde, qui monte puis redescend, et l’astre solaire. Certains scientifiques laissent néanmoins cette hypothèse au caveau avec les rats et les repris de justice. Or, le symbolisme est présent dans toutes les dimensions ce sport. L’iconographie, la cosmologie, l’archéoastronomie, l’architecture et l’épigraphie se confondent vraisemblablement sur le terrain de la pelote, où le religieux était omniprésent. Cela a donné lieu à nombre d’interprétations farfelues ou crédibles, voire foncièrement convaincantes. La crémation des balles et des lanières de caoutchouc qui la composaient, par exemple, aurait été un moyen de communication avec les dieux. C’est là qu’on observe les limites pratiques des Indiens, car allumer des fumerolles qui montent titiller les naseaux divins, on n’est pas obligés de se contenter de caoutchouc et d’encens ; de bonnes saucisses de Francfort arrosées d’un gros schnaps des familles font un barbecue obsécratoire et consommable bien plus efficace.
La thèse des rites solaires a peu à peu été révoquée et les recherches tendent à présent vers une interprétation de ces jeux sacrés comme rites de fertilité, de par le culte végétal qui leur était associé, ainsi que leur issue sacrificielle. On ne sait rien de la durée des parties. Toujours est-il qu’il devait exister un décompte de points spécifique à chaque région et qu’elles ne s’arrêtaient pas qu’à l’unique condition de parvenir à passer la balle dans l’anneau, comme le veut l’opinion généralement admise, puisque cela reviendrait à tuer un lama à coups de figues molles.
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Venons-en aux joueurs en eux-mêmes. Seuls les mâles s’adonnaient à ce sport affreusement éprouvant. Outre le fait qu’il fallait savoir distinguer sa gauche de sa droite et ne pas confondre ses orteils avec son coude, ce rituel nécessitait une puissance musculaire et une résistance dignes d’un orang-outan haltérophile. Bâtis comme des chênes d’Allouville, les joueurs disposaient d’une condition physique hors du commun qui leur permettait de frapper dans la balle quelques fois de plus que le commun des mortels. Contusions, fractures et morts par coup reçu à l’estomac étaient monnaie courante. Tous les lascars d’Amérique centrale pouvaient bien entendu s’y adonner, mais on suppose que seuls les joueurs d’extraction noble ou bien professionnels participaient aux parties cérémonielles. Le reste du temps, on jouait au détour d’une pyramide, on pariait au petit bonheur la chance entre de doux effluves de pulque et on refaisait le match à l’élégante d’un revers de talon entre les omoplates derrière la place du village.
Si les joueurs jouissaient d’une résistance dont se serait inspiré Patton, ils revêtaient toutefois des protections se déclinant en trois catégories : coudières, genouillères, casque. Les tenues d’apparat zoomorphes n’étaient, elles, probablement employées qu’avant et après la partie, car elles auraient été trop encombrantes pour taper convenablement dans le caoutchouc. Les jougs — ceintures de protection la plus couramment utilisée — se déclinaient en deux catégories. Les jougs d’apparat, en pierres, d’une trentaine de kilogrammes, et les jougs en bois ou en cuir, visiblement plus adaptés aux rencontres. Ceux-ci procédaient d’une disposition simple : une ceinture à laquelle étaient fixées des pièces en forme de fer à cheval ayant pour objet de protéger le ventre et les hanches lors de la partie. Cette forme n’est pas anodine, vous le pressentez. Elle aurait pu symboliser la bouche de la terre et donc projeter celui qui la portait dans un espace-temps situé entre le monde supérieur et l’Inframonde. Une situation manifestement rudement agréable, étant donné le nombre de jougs retrouvés par les archéologues. Les teintes de ces jougs attestent également de cette sorte de projection astrale de leur détenteur, mais passons sur le détail colorimétrique.
L’intérêt grandiose de ce sport, dans sa version cérémonielle, réside dans son issue supposée par nombre de chercheurs. Effectivement, les Mayas profitaient de cette occasion pour effectuer pléthore d’offrandes à qui mieux mieux, mais il était une offrande supérieure. Le sacrifice. Et pas n’importe lequel. Dans les croyances mayas, les humains étaient les seuls êtres vivants à pouvoir libérer une énergie à leur trépas. Le hic est que cette énergie s’évanouit, chafouine, lors d’une mort naturelle, puis se tellurise pour aller se nicher dans les tripes de la terre mère. Conséquemment, la seule alternative valable est, je vous le donne en mille, le sacrifice humain. Car, vous vous en douterez, il permet d’enrayer cette perte énergétique et de drainer son principe dynamique afin de le faire s’envoler vers les nuées où les dieux assis peinards devant un replay des Z’amours rouspéteront certainement pour l’odeur. Bien que ce calcul fût d’une complexité tenace (on est ici dans le domaine de la physique des particules élémentaires, où les bosons ne font pas les clowns et où les gluons ne sont plus des monstres cachés sous le lit de bébé), nous donnons notre entier crédit aux Mayas quant à la véracité de cette analyse.
Les dieux accordent donc des faveurs aux Indiens et eux leur renvoient l’ascenseur de l’énergie vitale en veux-tu en voilà. Une histoire de donnant-donnant somme toute. Passe-moi la rhubarbe et je te passerai le séné, et là en l’occurrence c’est nécrosé et par la racine que certains la croquaient la rhubarbe. Puisqu’il s’agit nous l’aurons saisi de véritables sacrifices humains, selon les suppositions de nombre d’archéologues. Et pas n’importe quels humaines. Lors des parties sacrées, le capitaine de l’équipe vainqueur ou perdante se voyait décapité. Vainqueur ou perdant, c’était selon l’interprétation du prêtre, selon que le vainqueur représentait l’Inframonde — sorte d’enfer local, symbolisé par l’équipe située au sud du terrain — ou le monde supérieur — symbolisé par l’équipe située au nord du terrain.
C’était donc un prêtre qui pratiquait le sacrifice, au centre du terrain. Il tenait également lieu d’arbitre et interprétait les résultats du match, car ces rencontres étaient finalement des prophéties illustrées moins rébarbatives que les griffonnages de grimoire de Nostradamus, ne lui en déplaise. Le prêtre arbitrait, interprétait et tranchait, sans mauvais jeu de mots. Il coupait une tronche de temps en temps, après avoir distribué les cartons jaunes. Le tout dans une seule journée et avec un brio qui sera à porter au crédit de sa profession. Là aussi, la décapitation comprend dans sa gestuelle un symbole nécessaire au rite lunaire. La caboche coupée qui s’écrasait par terre serait sans doute le pendant de la lune (divinité de la fertilité) qui, penaude quand vient le matin, tel un veilleur de nuit harassé, s’efface pour laisser place au soleil. Fait qui nous amène à deux conclusions. Ou les Mayas étaient le peuple le plus imaginatif de la création, ou bien le peyotl tournait sévère dans les huttes.
Au vu de l’issue fatale de chaque partie cérémonielle, nous pencherons pour la seconde option. En effet, un fait saugrenu vient attiser notre curiosité : les joueurs, loin de s’opposer à fleurets mouchetés, se tiraient la bourre tout au long de la partie, paraît-il, pour finir sur ce lit de Procuste improvisé. Le sacrifice de sa personne aux dieux, par décapitation s’il vous plaît, ayant été martelé et défini durant des siècles pour le plus insigne honneur auquel un Maya pouvait accéder, tous les moyens étaient bons. Un bon échantillon de réification religieuse que ne manqueront pas de retenir les fanatiques de toute confession. Toutefois, l’idée de décapiter le capitaine d’une équipe pourrait conserver son sens dans la France profane d’aujourd’hui. Mis en place dans nos sports professionnels contemporains, il pourrait voir le jour en contrepartie du don du salaire annuel des capitaines sacrifiés aux gosses qui meurent de la faim à Cornillé-les-caves. Mais nous aurions peut-être moins de spectacle.
Ce jeu de pelota ne s’est pas totalement éteint, au déclin maya. Il est aujourd’hui pratiqué par des équipes locales, la plupart dans un but d’exhibition touristique, il n’y a qu’à voir leur petite tenue, l’autre dans un projet sportif. Dans un pays où la population indigène est spoliée et bien peu reconnue, les symboliques deviennent à présent d’ordre politique, et jouer revient à revendiquer son appartenance culturelle. Pelote, re-pelote et dix de der !
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