Champions, 20 ans plus tard. Pour Mbappé, Dembélé et beaucoup d’autres français de ma génération, France 98 n’est qu’un souvenir qui nous a été conté. Pour d’autres fans de foot plus âgés, ce deuxième sacre fut l’occasion de chanter, de boire, communier ensemble en célébrant cette bande de jeunes enthousiasmants.

20 ans plus tard, les bourreaux de la Croatie sont encore français. De passage sur la côte Adriatique, j’ai discuté avec des locaux de la Coupe du Monde, de la France, du beau jeu et de l’impact de cette finale croate pour ce pays de 4 millions d’habitants.

Dès mon arrivée dans la capitale à Zagreb, l’ambiance bien apaisée laissait malgré tout percevoir l’euphorie de ce dimanche 15 juillet dernier. Sur la grande place Ban Jelačić, les héros croates ont été remplacés par de nombreux touristes, les éventuels restes de la fête ont été bien nettoyés. Car les Croates ont fêté la défaite, énormément. À l’image de leurs journaux, unanimes quant aux superlatifs employés à propos des Vatreni, littéralement traduit « hommes en feu », le peuple croate célébrait la fierté immense pour leurs joueurs au parcours fantastique.

Zagreb Croatie 3

Quelques minutes après avoir posé pied-à-terre dans le centre-ville de Zagreb, j’ai été interpellé par une caissière d’une petite supérette me demandant ma provenance. Après lui avoir avoué, non sans une petite gêne d’être français, elle a soupiré avant de m’adresser un « Oh, French » avec un léger sourire et un accent bien prononcé.

Après avoir félicité l’équipe de France pour avoir remporté la compétition, Jasna, jeune sexagénaire m’a spontanément avoué son admiration pour Kylian Mbappé. Malgré nos sourires et des congratulations mutuelles, l’amertume de la défaite encore récente ne s’est pas encore totalement évaporée. « Vous n’avez pas joué au football. Quand on joue au football, on gagne toujours à la fin. » Un paradoxe cruel pour cette équipe piège par le réalisme froid de l’équipe de France.

Jasna m’a résumé avec cette phrase l’état d’esprit de beaucoup de Croates, qui se considèrent comme des « magnifiques perdants ». Cette défaite est en réalité une victoire pour une population dont le quotidien n’est pas toujours facile.

Hamza, serveur dans un restaurant touristique de Zagreb, m’expliquait à quel point « tout le monde ici est pauvre », que l’espace d’une soirée « tout s’est arrêté ». Quand je lui ai demandé comment la rue dans laquelle il travaille était le dimanche de la finale, Hamza m’a souri, laissant échapper un soupir, avant de me qualifier l’ambiance d’un « crazy », teinté à la fois de passion et de déception.

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Zagreb Croatie Modric
Sur le plan du jeu, l’opinion d’Hamza était plus nuancée que celle de sa compatriote caissière. Respectant le jeu de l’équipe de France, il m’a quand même parlé du penalty accordé, me jurant que Perišić n’avait pas fait exprès de faire la main. S’il admet être admiratif de notre équipe, Hamza, jeune trentenaire me confiait être plus impressionné par l’équipe de 98 : « Mbappé, il m’énerve presque, parce qu’il est tellement talentueux alors que je suis beaucoup plus vieux que lui. » Pas rancunier, l’un de ses joueurs français préférés est personne d’autre que le héros de la demi-finale de la Coupe du Monde 98 Lilian Thuram.

Si les deux sujets sont parfois intimement liés, Hamza m’a également parlé de politique : « Le gouvernent ne nous aide pas, ça nous attriste, les gens sont vraiment pauvres. Dans cette rue, les gens cherchent dans les poubelles, ramassent des bouteilles par terre. »

S’il y a un bien un sentiment qui a été partagé par toutes les personnes avec qui j’ai pu parlé, c’est bien celui de la fierté. Hamza me rappelait 98, et la défaite des Croates face à ces mêmes Français, pour m’illustrer la fidélité des supporters croates envers leur équipe. « On est pas juste fiers maintenant, mais on le sera pour toujours. » Après m’avoir parlé des blagues que les Croates ont faites sur la présidente du pays après les embrassades des joueurs (français notamment) et de sa présence dans le vestiaire, Hamza m’a plus sérieusement expliqué qu’il espérait que ce parcours héroïque de la Croatie dans cette Coupe du Monde permettrait à la Croatie de développer encore plus un tourisme qui est déjà l’une des forces du pays.

Zagreb Croatie Modric

Dinko et Ana, hôte dans une auberge dans un quartier résidentiel de la capitale croate, m’ont également parlé de l’engouement « Coupe du Monde », eux qui sont si souvent habitués à croiser des touristes étrangers. Me rappelant une nouvelle fois la fierté qu’ils portaient à leur héros, Dinko m’a refait le match, en parlant évidemment du choix discuté d’accorder un penalty aux hommes de Didier Deschamps, tout en précisant que le score justifiait largement la victoire française. En attente de leur premier enfant, Dinko m’a même confié qu’il avait obtenu l’accord de sa femme Ana pour appeler leur fils Luka en cas de victoire dans le tournoi. Ma suggestion de remplacer Luka par Kylian a été accueillie non sans rires, mais avec un certain scepticisme.

La Croatie a été la révélation de cette Coupe du Monde en Russie. Solidaires, valeureux, élégants, ils ont montré aux yeux du monde du ce qui fait la fierté d’un pays dans lequel le quotidien n’est pas toujours aussi agréable que les passes de Modric. Si on savait déjà que le football possède la vertu de faire, l’espace d’un instant, oublier certains problèmes sociaux, le parcours des Croates a permis de donner le sourire à ce pays d’un peu plus de 4 millions d’habitants. Au lendemain de la meilleure performance footballistique de leur nation, les Croates vont se reconstruire, et espérer atteindre à nouveau une finale mondiale en 2022 au Qatar.

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