Judo – Sélectionné pour les championnats du Monde de Judo en Ouzbékistan, le français Walide Khyar veut s’affirmer chez les moins de 66 kg, l’une des catégories les plus chargée de la discipline. Dans cet entretien exclusif, il revient sur sa préparation et ses objectifs dans cette nouvelle catégorie.

Du 6 au 13 octobre 2022, l’élite du judo mondial a rendez-vous à Tachkent en Ouzbékistan lors des Championnats du monde de judo 2022. 15 titres mondiaux, 14 individuels et 1 par équipes mixtes. À deux ans des Jeux olympiques de Paris, cette échéance est particulièrement importante pour notre équipe de France. Il sera notamment l’occasion pour le français Walide Khyar de disputer ses premiers championnats du monde chez les moins de 66 kg. Après de graves blessures à la cheville et au genou qui l’ont empêché de participer aux Jeux de Tokyo, Walide est de retour au haut-niveau. Guidé par cette rage de vaincre, il a désormais l’ambition de s’affirmer comme une référence dans l’une des catégories les plus chargées de la discipline : les moins de 66 kg.

Dans cet entretien exclusif, il revient avec nous sur ses impressions concernant la liste de l’équipe de France, sa préparation pour les Mondiaux, sa solution face à l’équation « Hifumi Abe », ses ambitions dans cette nouvelle catégorie, ses concurrents directs, mais aussi sur son voyage en Tchétchénie, étape importante de sa carrière, ou encore cette passion qu’il a pour le MMA.

Salut Walide, comment tu te sens à quelques jours de ces Mondiaux ?

« Je me sens bien, c’est la première fois qu’on fait une préparation aussi longue. Souvent les championnats du monde tombent en août et on est prévenu seulement un mois avant. Là, j’ai eu la nouvelle de ma sélection le 10 juillet, je m’y attendais un peu d’ailleurs, on a pu installer une bonne préparation de plus de deux mois. Aujourd’hui, la semaine qui précède la compétition, j’ai arrêté les combats à l’entraînement. Avec le staff, on ajuste simplement les derniers petits détails.

Si l’objectif est de se sentir bien et de ne pas se cramer avant le début de la compétition, on continue tout de même l’entraînement, on continue de bouger sur le tatami pour que le corps comprenne que ce n’est pas fini et que quelque chose arrive. Il y a eu beaucoup d’émotions pendant cette préparation, des moments où ça n’allait pas toujours comme on le voulait, mais au final je retiens beaucoup de positif. Je me sens prêt et j’ai hâte d’y être. »

Tu as eu une longue période d’arrêt de plus d’un an suite à des blessures à la cheville, ce qui t’as d’ailleurs coûté la place pour les Jeux de Tokyo 2021. Depuis ton retour à la compétition en mai 2022, tu es sur une bonne dynamique. Les traumatismes à la cheville sont derrière toi, tu es passé à autre chose ou t’as encore de l’appréhension ?


« Aujourd’hui je suis serein, la cheville va mieux. Je me sens solide dessus, j’ai pas forcément d’appréhension sur une rechute. Mais c’est vrai que ces problèmes de chevilles ont jalonné ma carrière. On sortait d’une période difficile avec le COVID où les compétitions étaient à l’arrêt et au moment de la reprise, en janvier 2021, je me blesse méchamment à la cheville. Je n’ai pas recours à l’opération à l’époque avec l’espoir d’être prêt pour les Jeux. À regret finalement, l’opération était peut-être un choix plus judicieux sachant que je ne fais pas les Jeux, c’est Luka Mkheidze qui est sélectionné à ma place. Un an plus tard, fin janvier 2022, je me romps le ligament interne du genou.

C’était vraiment une période où j’avais du mal avec la gestion des entraînements, j’en faisais beaucoup trop, je pense. Après cette blessure au genou, on s’est concerté avec mon club (FLAM 91 ndlr) pour mettre en place une méthode d’entraînement qui me permettrait d’optimiser au maximum une reprise sans rechute avant les Mondiaux. Je suis resté plus de trois mois loin des tapis. Avant de reprendre calmement l’entraînement puis la compétition avec un tournoi national à Marseille en mai 2022. Depuis ça va mieux. Les Mondiaux j’y suis, mais je dois continuer à écouter mon corps, à gérer mes efforts et ça jusqu’aux jeux de Paris. »

Alors que les jeux de Paris sont de plus en plus proches (dans moins de deux ans) le sélectionneur de l’équipe masculine, Christophe GAGLIANO, a fait appel à un grand nombre de jeunes pour cette grosse échéance des Mondiaux de Tashkent. Valadier-Picard en moins de 60 kg notamment ou encore Livèze chez les moins de 100 kg. On a une équipe complètement différente de celle des Jeux de Tokyo au final. Tu l’analyses comment ce grand remue ménage de ton côté ? T’y vois la volonté des sélectionneurs d’essayer une autre formule après les échecs en individuel à Tokyo et aux derniers Mondiaux ou c’est autre chose ?

« Je pense surtout qu’il y a eu pas mal de blessés. Luka (Mkheidze ndlr) et Guillaume (Chaine ndlr) se sont fait les croisés. Axel Clergé sort de blessure également, il vient tout juste de reprendre l’entraînement. Alexandre Iddir se blesse aussi après les Jeux, face à Teddy Riner en final des championnats de France par équipe. Teddy aussi s’est blessé récemment à la cheville. Un concours de circonstances qui peut expliquer en partie ces choix, mais attention, tous les appelés sur la liste sont bel et bien à leur place. Ils sont là parce qu’ils l’ont mérité aussi ! »

Depuis le Grand Slam de Paris en octobre 2021, tu as entamé une montée chez les moins de 66 kg. La catégorie où officient deux des plus grandes stars du judo: Joshiro Maruyama, champion du monde en titre et Hifumi Abe, champion olympique en titre. Ta dernière rencontre avec Abe s’est d’ailleurs soldée par une défaite, c’était il y a quelques mois en demi-finale du Grand Slam de Budapest. Vous avez mis en place une stratégie “anti Abe” à l’approche de ces Mondiaux ?

« D’abord, je dirai que j’ai mal abordé ces demi-finales à Budapest. Je l’attendais tellement ce combat, prendre enfin Abe en compétition. Il y avait trop d’excitation. C’est bien que ma première rencontre avec lui soit tombé à ce moment-là finalement, plutôt qu’en plein Mondiaux. Je ne te cache pas qu’on a énormément analysé ce combat avec mon équipe et tout ce que je peux te dire, c’est qu’on est prêt à le reprendre sur ce championnat du monde. Maintenant, se focaliser uniquement sur Abe, ce n’est pas la bonne stratégie pour aborder la compétition. On est quarante-cinq inscrits. J’ai cinq, six combats à faire pour arriver jusqu’au bout et chaque étape est importante. Abe, je l’attends au bout des phases finales mais il y en a tellement d’autres avant.

En réalité, on s’est préparé à toutes les éventualités, on est prêt pour tous les types de profils : gaucher, droitier, Abe ou pas, peu importe. »

L’idée d’installer son propre tempo, ce rythme agressif, les inonder d’informations comme tu sais si bien le faire, c’est la stratégie à mettre en place tu penses ? Finalement, le style Khyar, est ce que ça n’est pas la “kryptonite” de l’école japonaise, tout en contrôle ?

« Sûrement. Je pense qu’ils n’aiment vraiment pas ça quand on leur saute à la gorge en tout cas. Après, que ce soit Abe ou Maruyama, les deux savent tout de même bien gérer l’agressivité. Il faut surtout les surprendre, aller là où ils ne nous attendent pas. L’expérience m’a appris que la préparation, la stratégie qu’on met en place ne fait pas tout: le combat a parfois sa propre règle. Il se passe énormément de choses qu’on n’a pas forcément prévues dans un combat, on aperçoit une ouverture à un instant et faut écouter son instinct de judoka. Ce moment de folie où tout peut basculer il est crucial et il faut savoir cette saisir cette chance. Il faut savoir les surprendre au bon moment en fait. »

À Tashkent, on aura le plaisir d’assister au retour d’un autre japonais, Naohisa Takato, le champion olympique des moins de 60 kg. Ton ancienne catégorie puisque tu es monté chez les moins de 66 kg il y a tout juste un an. Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à changer de catégorie ? Tu avais du mal à faire le poids ?

« Non, j’avais aucune difficulté à faire le poids à l’époque, ce n’est pas du tout ça. En réalité, après cette blessure à la cheville qui m’a fait raté les Jeux, à aucun moment je ne me disais que je montrai en 66 kg. C’est quelques mois plus tard, pendant mon voyage à Grozny, en Tchétchénie, que j’ai commencé une longue introspection. Ce voyage, c’était l’occasion de me recentrer sur moi-même et je me suis rendu compte que j’avais simplement besoin de découvrir de nouvelles choses, d’avoir de nouveaux challenges. J’avais besoin de me relancer dans un nouveau cycle, dans une longue période d’entraînement avant d’enchaîner les compétitions. Je voulais arrêter les pertes de poids aussi, arrêter de penser au poids. Et puis j’ai fait un choix stratégique aussi, la catégorie des moins de 66 kg convient davantage à mon style de judoka aujourd’hui. Tous ces changements de règles, les avantages que j’avais qui ont disparu, m’ont aussi convaincu que je devais monter de catégorie. »

Alors que la catégorie des moins de 66 kg semble encore bien plus compliquée au niveau des duels possibles. C’est une des catégories les plus chargés avec les deux japonais Maruyama et Abe on l’a dit, mais il y a aussi le moldave Denis Vieru, l’expérimenté Yondonperenlei ou encore l’israélien Flicker.

« Bien sur c’est une catégorie encore plus compliqué que les moins de 60 kg. Simplement, c’était le moment de monter pour moi aussi. Tous ces noms ne m’effraient pas en réalité. J’avais besoin de quelque chose de nouveau et je l’ai trouvé dans cette catégorie.

Quand tu regardes bien, des grosses têtes de la catégorie ont eu la même trajectoire que la mienne : le numéro 1 mondial Denis Vieru ou même Safarov étaient tous les deux en moins de 60kg avant de s’imposer chez les moins de 66 kg. »

 La concurrence avec Luka Mkheidze en moins de 60 kg, c’était une des raisons aussi ? Alors qu’en moins de 66 kg t’as un peu plus le champ libre en France à l’approche des jeux de Paris ?

« Non, vraiment pas. Luka, les autres, la concurrence, tout ça, ça n’a pas été des critères important dans mon choix. Tous les moments où Luka était dans la catégorie, je voyais même ça d’un bon œil, c’était une concurrence saine. On s’est poussé jusqu’au bout, s’il n’y avait pas eu cette concurrence entre nous peut-être qu’il n’aurait pas eu sa médaille de bronze à Tokyo. En réalité, le jour où Luka a fait sa médaille de bronze aux Jeux ça m’a excité. Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de médaillés français dans cette catégorie-là (la dernière médaille française chez les moins de 60 kg remontait au titre de Thierry Rey aux jeux de Moscou de 1980 ndlr.). Je me disais: “maintenant, il faut aller faire mieux que lui dans cette catégorie”.

J’avais cette mentalité au sortir de la séquence J.O. et puis il y a eu ce voyage à Grozny, cette période d’introspection. Je me suis posé, j’ai beaucoup réfléchi sur moi-même, sur mes objectifs et j’en ai tiré pas mal d’enseignements : la performance olympique de Luka ne devait pas guider mes objectifs, c’était l’égo qui me poussait à penser de cette manière. Ce changement de catégorie, c’est vraiment un choix que j’ai fait après ce moment d’introspection fin 2021. »

Aussi, je ne pense pas non plus qu’il faille dire que j’ai le champ libre chez les moins de 66 kg. À mes yeux, il y a peut-être même plus de monde en France chez les moins de 66 kg que chez les moins de 60 kg. Et puis c’est inutile de perdre toute son énergie à penser uniquement à la concurrence française alors que le principal danger est à l’extérieur. Mes concurrents directs sont étrangers, c’est sur eux que je dois me concentrer.

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Si Luka prend la main des moins de 60kg, de ton côté, chez les moins de 66 kg, c’est ton entraîneur du FLAM 91, Kilian Le Blouch qui te passe le flambeau, lui-même étant monté de catégorie direction les moins de 73 kg. Le Blouch est présent dans ta préparation pour faciliter ton adaptation dans cette catégorie ?

« Oui, il est partout. Il intervient dans la planification d’entraînement, dans la préparation physique, dans la récupération, dans l’alimentation. J’ai une grande confiance en lui, c’est mon entraîneur et mon ami, on se connaît depuis plus de vingt ans. C’est une catégorie qu’il connaît très bien aussi, il l’a sillonné en long et en large. Heureusement qu’il est là, il me facilite vraiment le travail. Pour les Mondiaux, aussi, il a été très présent dans ma préparation. »

Comment t’agence ta planification d’entraînement à l’approche de cette échéance olympique ? T’es dans quelle phase actuellement ?

« J’étais dans une phase d’hypertrophie que j’ai terminée mi-août. J’ai encore un peu de poids à prendre d’ailleurs, mais on entre petit à petit dans une période d’explosivité.

L’objectif avec les préparateurs physiques est de trouver ce bon poids de forme où je me sens bien, trouver le bon équilibre entre force et explosivité. Jusqu’à Paris, il va falloir continuer à s’entraîner, à faire beaucoup de compétitions, ne pas perdre le rythme pendant ces deux années. Les stages à l’étranger, comme j’ai fait en Tchétchénie, ça aide justement pour ne pas perdre le rythme. »

Pourquoi la Tchétchénie d’ailleurs ? 

« En réalité, j’avais l’objectif d’aller au Japon ou en Ouzbékistan pour ce stage de septembre mais malheureusement ça n’a pas pu se faire et puis j’ai un très bon ami tchétchène, Yakub Shamilov, en moins de 66 kg avec qui je suis en contact. Il m’a invité dans son club à Grozny. J’aime beaucoup le style de judo des russes aussi, leur mentalité, comment ils s’entraînent, ça englobe pas mal de disciplines. Sur le tapis, il n’y avait pas seulement des judoka, il y avait des mecs qui faisaient du sambo, du grappling, du MMA aussi… »

En parlant de MMA, c’est un sport qui t’intéresse ? On sait que les relations entre le judo et le MMA sont assez compliquées en France…

« Depuis la légalisation, j’ai l’impression que ça s’est calmé tout de même. Il y a pas mal de jeunes judoka qui envisagent une transition vers le MMA aujourd’hui. De très bons amis à moi ont fait leur transition. Messie Katanga notamment, ancien champion de France des +100kg. Personnellement, c’est un sport que j’aime beaucoup. »

Toi aussi, comme Messie, c’est quelque chose qui peut t’intéresser d’aller chercher de nouveaux challenges dans un autre sport ?

« Non, non (rire) moi je suis dans le Judo, mais c’est vraiment un beau sport. Je suis vraiment admiratif du professionalisme qu’il y a dans le MMA. La prise en charge des athlètes est optimale, ils arrivent tous au top de leur forme le Jour J. C’est très rare que le show soit gâché par un manque de préparation en MMA. Au judo, on a davantage ce problème : beaucoup de judokas sont rincés le jour de la compétition.

Les gens le voient encore comme quelque chose de très dangereux, très violent, mais c’est l’un des sports de combat les plus réglementés en réalité, c’est très sécurisé. J’étais au téléphone avec Jean-Marc Sène tout à l’heure, ancien médecin de l’équipe de France, il a fait parti du corps médical pour l’UFC Paris. Il me racontait un peu les coulisses de l’événement. Les ambulances sont sur le qui-vive, il y a tout type de médecins spécialistes prêts à intervenir, les infirmiers sont au petit-soin. Ils installent un environnement qui semble vraiment safe pour l’athlète. Je suis fan de toute cette mise en scène qu’il y a autour aussi, ce show, ces formats qui permettent de suivre les athlètes avant et après la compétition : tout ça, ça a permis au sport de grossir très rapidement. »

Tu penses que le Judo devrait se brancher sur ce sillon là aussi. Rajouter davantage de show pour attirer plus de public ?

« C’est compliqué… Le code moral à une grande place chez nous. Les puristes, les anciens pourraient voir ça comme une tentative de travestir les valeurs du judo. Moi, je pense tout de même qu’on doit tendre vers davantage de spectacle pour rester à la page. Nous les jeunes, on aime bien faire le spectacle parfois aussi. »

En décembre 2020, quelques mois avant les Jeux olympiques de Tokyo la fédération japonaise organise un combat entre les deux stars Maruyama et Abe. Un combat épique qui devait décider de l’unique représentant japonais pour les Jeux dans la catégorie des moins de 66 kg. Les deux étant de sérieux prétendants au titre, il y a eu une véritable attention internationale sur cette seule affiche. Est-ce qu’il faut y voir la preuve que c’est possible pour le Judo de sortir du système dépassé des Grand-Chelem comme on a aujourd’hui ? Opter davantage pour une logique similaire à ce qu’on peut retrouver en MMA, avec ce concept de “Title-Fight” ?

« Ce combat a montré que ça pouvait marcher en tout cas, que des alternatives sont possibles. Moi, je suis convaincu qu’on avance vers ça petit a petit de toute façon.

Le président de la fédération française de Judo, Stéphane Nomis est en train de créer un championnat national, la Pro-League, c’est du jamais vu en France. Les Allemands ont opté pour ce système depuis mal de temps avec la “Bundesliga”, des rencontres aller-retour comme au football. Nomis essaie de mettre ça en place. L’exposition va profiter à tout le monde je pense, les athlètes, les clubs et le public.

Encore une fois, je pense qu’on a vraiment beaucoup de choses à retenir du MMA. Que ce soit dans le professionnalisme ou dans ce rapport au show. »

Merci Walide pour cet entretien. Une remarque de fin peut-être avant le début de ces Mondiaux en Ouzbékistan ?

Merci à vous La Sueur. Simplement, il faudra vivre Tashkent à fond. C’est mon premier championnat du monde en moins de 66 kg. Hâte et impatient !

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Sourceijf.org ; judoinside.com
Crédits photosWalide Khyar

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