Si la boxe fût le premier sport retransmis en direct à la radio un 11 avril 1921 à l’occasion d’un combat entre Johnny Dundee et Johnny Ray, le média qui entretient la relation la plus forte avec le sport de combat roi est bel et bien le cinéma. Dès les balbutiements du kinétoscope (appareil qui annonce le cinématographe), Thomas Edison reconstitue un match de boxe en studio. Depuis, la relation entre le 7ème art et la boxe n’a pas faibli, le premier trouvant dans le second une intensité, une dramaturgie et une esthétique inégalable (la sueur, les corps en mouvement, les coups, le sang). Rocky, Raging Bull, Ali, Million dollar baby, Fighters ou encore le récent La Rage au ventre, il n’est pas une décennie sans son grand biopic ou fiction ancrée dans le monde de la boxe.
De ces grands films, deux trames différentes peuvent être caractérisées ainsi: le modèle le plus répandu de la lutte extérieure avec un combat idéologique ou contre un ennemi personnel avec une notion de vengeance (structure applicable à la série des Rocky) et le combat intérieur, contre ses démons dont le meilleur exemple est Raging Bull. Sorti en juillet de cette année, Southpaw ou La Rage au Ventre connait un succès réel aussi bien au box office qu’en terme de critique mais dans quelle lignée des grands films de boxe s’inscrit-il ?
Le film d’Antoine Fuqua présente un casting alléchant avec Jake Gyllenhaal dans le rôle principal de Billy Hope, boxeur invaincu, mari comblé et père d’une petite Leila, sa vie bascule lorsque sa femme, interprétée par Rachel McAdams, est tuée à la suite d’une bagarre avec son grand rival le colombien Escobar. Outre ces deux stars particulièrement « bankables » ces temps ci, on retrouve aussi 50 Cent dans le rôle d’un manager businessman, l’immense Forest Whitaker en entraîneur philosophe qui va aider Hope à reconquérir son monde perdu ou encore Naomi Harris que l’on a pu voir dans Pirates des Caraïbes. A noter que le rôle principal était à l’origine écrit pour Eminem, comme nous l’aborderons plus en détail par la suite. Son remplaçant présente une métamorphose physique impressionnante, dont nous pouvons faire le parallèle avec celle de De Niro meilleur représentant de l’acteur studio pour sa performance dans Raging Bull; Robert étant allé jusqu’à prendre 30kg pour interprété le boxeur américano-italien bouffi par les excès d’une vie qui fût une lutte aussi (voire même plus) violente que ces combats.
Si Jake Gyllenhaal n’a pour l’instant pas l’aura d’un Robert De Niro, Sylvester Stallone ou même Will Smith, la distribution s’inscrit dans la lignée des grandes productions hollywoodiennes que sont les classiques du genre évoqués précédemment. En terme de réalisation aussi Antoine Fuqua a su bien s’entourer avec la participation de Todd Palladino et Rick Cypher, qui réalisaient les combats pour HBO. Car ce film est aussi un hommage à la boxe, à son histoire et à sa dimension médiatique (certains parleront de business). Ainsi la réalisation des combats en général et en particulier du combat final est impressionnante par son respect des codes télévisuels, notamment à travers le rôle ultra-important des commentateurs du combat qui fournissent dès les premiers plans une quantité incroyable d’informations comme le fait qu’Hope est un enfant des services sociaux où il a rencontré sa femme; ce qui n’est d’ailleurs pas d’une subtilité incroyable mais l’essentiel est ailleurs. Car Fuqua jongle avec brio entre cette référence à la retransmission télé d’autant plus évidente après les records d’audience du combat Pacquiao/Mayweather il y a seulement trois mois et d’autre part une réalisation cinéma qui offre du spectaculaire avec de nombreux plans subjectifs qui participent à l’immersion dans le combat, prenant le point de vue de chaque boxeur de manière alternée.
La série des Rocky est caractérisée par un héros authentique et honnête qui défend avant tout ses valeurs et ses idéaux. Car le combat dans le cinéma n’est jamais réduit qu’à la dimension d’affrontement physique, il faut que le ring soit un espace métaphorique, sur lequel autre chose que la désignation d’un simple vainqueur sportif ait lieu. En effet le cinéma moderne américain repose sur les émotions et l’adrénaline d’un combat ne suffit pas pour les productions qui recherchent des scénarios touchants, dans lesquels l’identification au héros est réelle et la morale positive.
La Rage au Ventre s’inscrit parfaitement dans cette logique, notamment avec le personnage de Tick Wills, l’entraineur retiré qui s’occupe de remettre des jeunes sur le droit chemin. Le message que celui-ci délivre revient au final beaucoup plus à une leçon de vie, d’humilité, qu’à des conseils de tactique pure. Ce mentor, dont l’interprétation par Forest Whitaker est brillante, donne toute la morale au récit. La charge émotionnelle à la fin du film en est le résultat direct.
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En effet, quand l’entraineur prodigue ses conseils à vocation universelle il s’adresse directement autant au spectateur qu’au personnage principal. Dès lors l’identification au héros est logique, ses enjeux deviennent les nôtres, bien plus que s’ils avaient parlé tactique pure (on évoque vaguement un changement de boxe où Hope contre plus les jabs de son adversaire) dans un domaine où le spectateur moyen est novice.
De plus, la symbolique du combat final semble au premier abord aussi grotesque que Rocky affrontant le méchant Soviet: Hope se bat contre l’homme (Escobar) responsable de la mort de sa femme. Néanmoins c’est là que le scénario prend une tournure bien plus complexe.
Le film de boxe qui a marqué les années 80 (année de sa sortie en salle) est l’incontournable Raging Bull, considéré par beaucoup comme le meilleur film de sport de l’histoire.
Comme tout film culte, le « taureau enragé » tient de la légende. Tout d’abord celle d’une histoire vraie, l’oeuvre de Scorsese étant l’adaptation à l’écran de l’autobiographie de LaMotta, boxeur fantasque des années 40-50,devenu propriétaire soulard d’une boite de nuit pour toute reconversion. Raging Bull ne s’inscrit pas le classique combo film de boxe= film idéologique à dimension sociale, il s’agit d’un combat intérieur et l’ennemi n’est pas le soviétique en face ou un combat pour revendiquer des droits, il s’agit de vaincre ses démons. Scorsese se lance en effet dans ce projet au lendemain d’une tentative de suicide. LaMotta décadent, perdu entre une morale catholique italienne oppressante, « une culpabilité, l’envie de rédemption » (Positif avril 1981) c’est ce que vit le réalisateur au crépuscule des 70s. Et La Rage au Ventre se révèle être là aussi l’histoire d’une rédemption, d’un changement, d’un combat de Hope pour devenir un meilleur homme. Car tout le génie du scénario de Kurt Sutter est de refuser finalement la facilité d’un combat entre un homme et l’assassin de sa femme, d’un dualisme manichéen vu et revu. Le héros se révèle être bien plus complexe, admettant sa responsabilité dans ses échecs récents, sans pour autant se laisser abattre et se blâmer. Cette écriture d’un personnage bien plus torturé est à la source même du projet d’écriture du scénariste, car La Rage au Ventre est l’adaptation au milieu de la boxe de l’histoire du meilleur rappeur de tous les temps qu’est Eminem (d’où la proposition de lui offrir le rôle). Le film réalise alors sur sa chute le tour de passe-passe de présenter le duel d’un veuf contre l’assassin de sa femme comme un montage médiatique, égratignant alors les organisateurs et promoteurs face à la réalité d’un homme qui ne cherche qu’à se reconstruire et récupérer la garde de sa fille; un humain qui cherche à devenir un homme meilleur et non un justicier.
by T.T.R.
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