Ainsi, ce match se présente comme l’occasion de tourner une fois pour toutes la page de l’ère Klitschko qui, pour de nombreuses personnes, avait entraîné à elle seule un désamour croissant de la boxe. Ayant dominé le ring pendant plus de 10 ans, Wladimir s’était en effet créé, par la force des choses, une réputation de fossoyeur de la discipline dans le plus mauvais sens du terme. Par son style jugé ennuyeux, son caractère froid et intellectuel, ses origines slaves et sa domination prudente de l’ensemble des challengeurs, l’ukrainien avait, petit à petit, dégoûté une partie des aficionados de la catégorie reine de ce sport. Anthony Joshua, s’il vient à l’emporter ce samedi, amènera sans aucun doute un second souffle à cette catégorie pour le moins moribonde.
Il convient d’ailleurs de resituer cet évènement dans un mouvement historique (au sens hégélien du terme) plus large, celui du déclin de la boxe professionnel comme sport spectacle hégémonique. Nous assistons en effet, depuis plusieurs années, à une perte croissante de popularité de la boxe. La faute à une multiplication des fédérations (chacune dénommée selon l’adjonction hasardeuse d’un nombre aléatoire de lettres de l’alphabet), des catégories (quasiment une par kilo), de la désertion de la discipline par les grands athlètes noirs américains (ayant jugé sûrement plus lucratif et moins préjudiciable de se lancer dans une carrière de basket ou de baseball) et de la concurrence inattendue d’un nouvel acteur sur le marché du sport spectacle (le MMA pour ceux qui n’auraient pas compris). Or, c’est historiquement aussi à travers ses poids lourds que la boxe a pu gagner et conserver sa capacité de séduction des masses.
Un petit test pour ceux qui ne me croiraient pas. Si je vous dis : Willie Pep, Henry Armstrong, Harry Greb, Pernell Whitaker, Benny Leonard ou encore Julio César Chavez, il y a fort à parier que vous ne sachiez pas de qui je parle (tous ces gentlemen sont pourtant considérés parmi les plus grands de la boxe anglaise dans des catégories allant de plume à moyen). Néanmoins si je vous dis : Joe Louis, Muhammad Ali, George Foreman, Rocky Marciano, Larry Holmes, Mike Tyson ou encore Lennox Lewis, vous reconnaîtrez là le nom d’illustres pugilistes dont le point commun est d’avoir tour à tour été champion poids lourd.
La boxe vit et survit au travers de sa catégorie lourde. Klitschko ayant, à tort ou à raison, sclérosé cette dernière, la possibilité de le voir chuter face au jeune et charismatique Anthony Joshua emporterait des conséquences importantes pour l’avenir de ce sport.
À l’heure où le passage de relais entre la dernière star du noble art (Floyd Mayweather) et le porte-étendard du MMA (Conor McGregor) semble se matérialiser, la lutte Klitschko-Joshua pourrait en effet décider de l’avenir de ce sport (sa renaissance ou sa relégation au second plan).
En amateur à la fois d’événement historique et de boxe anglaise, je ne saurais que trop vous conseiller d’allumer votre poste de télévision (ou de streamer comme des sagouins) afin d’assister à cette rencontre. Par ailleurs, au-delà de l’importance historique de l’événement, ce match pourrait se révéler des plus intéressant pour qui suit la carrière de Joshua ou de Klitschko.
Par sympathie et par une puissante vocation égalitariste (mon côté républicain sans doute), j’attirerais avec cette brève votre attention sur les forces et faiblesses en présence, afin de me livrer, pour le bonheur de chacun (ou l’hilarité générale) à l’exercice redouté et hasardeux du pronostique sportif.
Âgé de seulement 27 ans, le boxeur britannique peut déjà s’enorgueillir d’accomplissements remarquables : Médaillé d’or olympique aux JO de 2012 au terme d’une carrière amateur brillante, et champion du Monde poids lourds dès 2016 avec sa victoire sur Charles Martin par KO en 2 round. La petite cerise sur le gâteau étant bien sûr son record professionnel immaculé et entièrement rempli de victoire par KO avant la 8e reprise (fait suffisamment impressionnant pour être noté). Au-delà de son parcours sans faute, Joshua fait preuve d’un charisme certain et demeure télégénique, ce qui semble le prédisposer naturellement à la célébrité (à l’inverse de son adversaire ukrainien).
Concernant ses caractéristiques physiques, Joshua bénéficie de qualités athlétiques remarquables (mesurant 1m98 et bénéficiant d’une allonge de 2 mètres), d’une vitesse foudroyante et d’un punch terrifiant. Sa taille et son allonge seront d’ailleurs un atout de poids face à Klitschko, ce dernier étant habitué à bénéficier d’un confortable avantage dans ces départements sur ses adversaires (en théorie Joshua et Klitschko font la même taille et bénéficient peu ou prou de la même allonge). D’un point de vue stylistique, Anthony Joshua est un boxeur-puncher développant, depuis le début de sa carrière professionnelle, une attitude agressive, mais calculée.
Se fondant sur un jab puissant et rapide, lui servant autant d’arme que d’outil de mesure, Joshua ne vit que pour placer sa droite mortelle (en cross ou en hook). Constamment en déplacement de manière imperceptible (retrait du buste, et pas de retrait fréquent), Joshua prend plaisir à fausser les distances pour son adversaire et ainsi le pousser à remiser dans le vide. Se servant des ouvertures ainsi créées, il explose fréquemment sur des 1-2 (jab-cross) redoutables de précision et de célérité. Lorsque son adversaire est en difficulté, Anthony peut alors s’appuyer sur son athlétisme et envoyer de rapides combinaisons de directs dans le but de finir le combat. Enfin, en pugiliste technique, Anthony sait varier habilement les zones de frappes alternant avec une égale fluidité entre les attaques lignes hautes et les body punch.
Autant à l’aise dans l’agression que dans les contres, le Britannique a plus d’une fois séché des adversaires ayant tenté de le pressurer contre les cordes. Son direct du bras arrière constituant dans cette optique, son arme de prédilection. Améliorant son jeu au fil des combats, Anthony s’est par ailleurs doté d’un excellent arsenal de corps à corps composé de rapides combinaisons d’uppercut et de crochet mi-distance.
Pour résumer, Anthony Joshua est probablement le boxeur offensif le plus dangereux, le plus complet et le plus technique de la catégorie lourde actuelle (désolé Déontay). Utilisant à merveille son allonge, Joshua n’a pour le moment pas eu à subir trop de dégât de la part d’adversaires soit trop petits, soit trop lents (Charles Martin, Dominic Breazeale) et semble, à première vue, ne pas avoir de défaut.
Néanmoins, à y regarder de plus près, plusieurs facteurs permettent de garder certaines réserves vis-à-vis du prodige britannique. Pour commencer, ce dernier n’a pas rencontré ce que l’on pourrait appeler la crème de la crème de la catégorie, alternant entre journeymen sans envergures, et contender has been. Contre une telle opposition, et bénéficiant d’un tel avantage physique, il est tout de suite plus simple d’apparaître remarquable. Par ailleurs, la défense de Joshua laisse fortement à désirer, ce dernier se contentant la plupart du temps de conserver ses mains à hauteur de poitrine et effectuer des retraits tête haute en cas d’agression. Ce type d’erreur n’a pas encore été exploité, car aucun des adversaires jusqu’à présent rencontrés ne disposait de la taille/l’allonge/le sang-froid/ le jeu de jambes permettant de le faire, mais tôt ou tard ce défaut sera mis en lumière et Joshua semblera alors beaucoup moins impressionnant. Enfin, Anthony n’est jamais allé au bout des 15 rounds contre un adversaire expérimenté sachant gérer l’effort du combat de boxe professionnel.
https://youtu.be/49MFlUVBnSs
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En d’autres termes, il est à prévoir que Joshua, aussi brillant qu’il puisse apparaître aujourd’hui, soit susceptible de rencontrer de grandes difficultés contre un adversaire disposant de la même taille que lui, d’un sang-froid l’aidant à répondre à l’agression avec calme et intelligence, de l’expérience des 12 rounds et d’une technique de contre susceptible d’exploiter ses failles défensives. Ce portrait-robot du boxeur Kryptonite vous semble hélas familier ? Vous l’aurez compris heureux gredins, je parle de notre Ukrainien tant détesté, Wladimir Klitschko.
Pour être tout à fait honnête, je n’ai jamais compris la détestation à l’égard de Wlad. Certes ce dernier n’a pas le charisme d’un Ali ou d’un Tyson, ou l’agressivité jusqu’au-boutiste d’un Frazier, mais pour quiconque analyse la boxe comme une discipline où le but n’est pas de paraître impressionnant, mais de dominer son adversaire, Wlad fait figure de modèle du genre.
Ayant délaissé le jeu agressif de sa jeunesse (ressemblant d’ailleurs étrangement à celui de Joshua) pour un style défensif et contre-défensif mesuré, Wlad a été capable de dominer chacun de ses opposants avec une remarquable facilité (jusqu’à sa rencontre des plus ennuyeuses avec Fury). À la différence d’Anthony, l’Ukrainien a effectivement rencontré ce qu’il se faisait de mieux chez les lourds (Haye, Povetkin, Mormeck, Pulev, Chambers, Rahman, Byrd, etc) et a surclassé ces prestigieux adversaires au point de les faire passer pour des amateurs.
Disposant des mêmes atouts physiques que son futur adversaire, Wladimir a orienté depuis plusieurs années son style de manière pragmatique vers ce que certains appellent dédaigneusement du « dirty boxing » et que j’appellerais plutôt du métier. Entre parenthèses, il est amusant de voir tous les chantres du noble art s’esbaudir sur le style de Jack Johnson (premier champion poids lourd noir de l’histoire de la boxe) et conspuer le style ennuyeux de Wlad, alors que les deux styles présentent d’incroyables similitudes (de deux choses l’une, soit les experts n’ont pas vu les vidéos des combats de Jack Johnson, soit leur mauvaise foi les rend ridiculement partiales à l’encontre de notre ami Ukrainien). En effet, à l’instar de Jack Johnson*, Wlad est un maître dans l’art de casser le rythme du combat par l’utilisation extensive (quoique prohibée en principe) du clinch. Se servant de son jab télescopique pour maintenir son adversaire à distance, Wlad n’hésite pas à laisser rentrer son vis-à-vis sous sa garde afin de l’agripper et de faire peser tout son haut du corps sur ses épaules l’instant d’un bref accrochage. Cela n’a l’air de rien, mais sur 12 rounds, cette pratique anodine peut vous ruiner un cardio en acier et réduire à néant toute velléité d’agression (le match contre Povetkin est, à cet égard, une démonstration). Utilisant alors son athlétisme et son endurance, l’ukrainien explose fréquemment en sortie de clinch sur de courtes, mais puissantes (généralement des 1-2) combinaisons touchant à coup sûr un adversaire exténué par l’effort musculaire fourni lors de l’accrochage. En plus de sa fonction d’attrition, le clinch utilisé par Wlad lui offre un excellent moyen de défense : lors de ces phases d’agression, l’ukrainien finit généralement ses combinaisons de jab-cross-hook en avançant sur son adversaire au point de le saisir et de peser encore une fois sur sa nuque et ses épaules (voir son combat contre Lamon Brewster), se protégeant ainsi d’éventuelles remises.
En parallèle de l’utilisation active du clinch, Wlad possède un jeu défensif certes disgracieux, mais des plus efficaces : utilisant son allonge pour maintenir son adversaire à distance en le poussant du bras avant, se protégeant efficacement derrière une garde haute, n’hésitant pas à parer certains coups de ses avant-bras, Wlad demeure difficile à toucher, et ce même par des adversaires plus explosifs que lui (son combat contre Jennings – NDLR). Par ailleurs, ses contres du bras avant (et notamment son check Hook) sont suffisamment puissants pour mettre KO un adversaire déjà exténué par sa boxe en attrition.
En résumé, Klitschko est expérimenté, capable de contourner les règles de la boxe lorsque cela est utile, et suffisamment intelligent pour exploiter les défauts de n’importe quel adversaire. Il a ce qu’on appelle dans le milieu de la boxe, du « métier », ce qui manque cruellement à Anthony Joshua, et a ainsi pu triompher de toute sorte d’adversaires au plus haut niveau.
Son style n’est peut-être pas des plus agréables à regarder, mais celui-ci demeure redoutablement efficace. En quelque sorte, Wlad est à la boxe ce que Semmy Schilt est au Kick-boxing : un géant ayant su utiliser à merveille ses qualités physiques dans un style des plus pragmatiques (à défaut d’être télégénique) pour l’emporter sur des adversaires plus complet ou plus féroce dans leur jeu.
Néanmoins, lors de son dernier combat, l’ukrainien a aussi montré les limites de son jeu, basé fondamentalement sur sa supériorité physique. Face à un adversaire aussi fort physiquement, et prudent dans sa boxe que lui, Wladimir a semblé désemparé, produisant ainsi l’un des matchs pour le titre le plus ennuyeux de tous les temps. Par ailleurs, father time commence à gentiment se faire sentir et l’ukrainien semble moins véloce et redoutable qu’auparavant. Enfin, notre ami boxeur/politicien/jour d’échec/polyglotte/mari de la nounou de Malcolm (rayer la ou les mentions inutiles) n’a pas mis un orteil sur un ring depuis plus d’un an ce qui, à cet âge, n’augure jamais rien de bon.
Pour le dire en peu de mots, tout demeure possible. Si ce combat avait eu lieu il y a quelques années, j’aurais donné Wladimir gagnant à mille contre un. Aujourd’hui néanmoins, l’âge, la lassitude et l’absence des rings sont susceptibles de transformer le son magique des trompettes de la renommée en l’écho glacial et funeste du glas pour l’ex-champion Klitschko.
Pour Joshua il s’agira de tirer parti au maximum de sa supériorité physique. Plus jeune, plus rapide, plus puissant, Anthony dispose de sérieux avantages sur son vis-à-vis. Il possède par ailleurs une grande technicité offensive qu’il faudra mettre en avant. Le mouvement demeurera lui aussi capital, et le Britannique devra constamment désaxé et se replacer au centre du ring afin d’éviter le clinch de Klitschko. Plutôt que de chercher à mettre KO rapidement son opposant, le jeune prodige gagnera à privilégier un jeu de stick and move, quitte à gagner pour la première fois de sa carrière pas décision. Si Joshua parvient à ne pas se laisser déborder par son agressivité et à encaisser les inévitables contres qu’il recevra, il devrait pouvoir s’en tirer avec une décision ou un KO dans les derniers rounds.
Pour Klitschko il conviendra d’appliquer la recette l’ayant rendu pratiquement invincible sur 10 ans en tirant parti du fait que Joshua n’a jamais eu à aller au bout d’une guerre d’usure contre un vétéran aussi crafty que lui (à la différence de Tyson Fury qui avait déjà connu ce type de rencontre). Il faudra ainsi fatiguer le très explosif Joshua et ne pas lui laisser l’opportunité de dérouler son jeu d’agression. Considérant les lacunes défensives de ce dernier, deux options sont possibles ; celle du contre ou celle de la pression. Les derniers matchs de Joshua ont montré une bonne aptitude de ce dernier à contrer les adversaires tentant de le pressurer, néanmoins, Klitschko bénéficie d’une allonge et d’une explosivité qu’aucun des adversaires de Joshua ne disposait. Les deux voies demeurent donc ouvertes pour l’ukrainien qui restera bien avisé de toujours finir ses explosions sur des phases d’accrochages comme il sait si bien le faire. S’il parvient à toucher le trop confiant Britannique, et à tirer parti de son agressivité pour le conduire dans une guerre de saisi et de contre, Wlad pourrait tout à fait l’emporter par décision unanime….
Ce match peut tout à fait aller dans un sens comme dans l’autre, chacun des adversaires disposant des qualités faisant cruellement défaut à l’autre (l’expérience et le métier pour l’un, l’explosivité et l’instinct de finish pour l’autre). Néanmoins, puisqu’il faut absolument prévoir un résultat, je penche pour une résurgence de l’Ukrainien et une victoire de ce dernier, de la plus horrible des manières, sur le flamboyant Joshua. Par Polydamas
*Jack Johnson se servira d’ailleurs de cette stratégie pour humilier l’espoir blanc Jim Jeffries lors de leur rencontre, l’épuisant à petite feu par l’utilisation répétée du clinch.
https://youtu.be/YZ-Z5fWOL-A
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