La beauté et la poésie de certains mythes à propos de la naissance de figures réelles ou fictives résident souvent dans leur créativité : Gengis Khan serait venu au monde en tenant fermement dans son poing un énorme caillot de sang, Dyonisos aurait mené à bien sa gestation dans la cuisse de Jupiter, Alexandre le Grand naquit au moment même ou Erostrate détruisait le temple d’Artémis, cette dernière ayant voulu en personne assister à la naissance du prodige…
Il est intéressant d’observer qu’aux yeux des auteurs de ces mythes, accompagner l’éclosion d’un personnage capital par un signe distinctif métaphorique semble cimenter une immédiate légitimité au personnage ouvrant les yeux pour la première fois. Comme s’il fallait qu’un évènement indépendant de sa volonté et fruit des désirs d’une puissance supérieure valide l’arrivée d’un être humain qui allait changer le monde.
À sa naissance, Aleksandr Karelin pesait 6,8 kilos. Les métaphores? Les jolies formes de capot? Le bouchon de radiateur? La peinture, les vitres teintées? Dégagez-moi ça. Conservez les essieux, le V8 et le pare-buffle, le voilà votre « le divin enfant ».
Né en 1967 en Sibérie, il passe son enfance à chasser à skis le renard et toutes sortes d’animaux et ce n’est qu’à 13 ans qu’il découvre la lutte gréco-romaine. La légende voudrait qu’à l’instant où il est rentré dans la salle de lutte pour la première fois, au même moment tous ses futurs adversaires répartis autour du globe aient chopé une chiasse absolument biblique.
À 15 alors que sa carrière est lancée sur les rails de la dévastation planétaire, il se casse la jambe en deux lors d’un tournoi. Sa mère sortant de ses gonds brûle sa tenue de lutteur et tente par tous les moyens de le convaincre d’arrêter ce sport qu’elle juge barbare, sa réponse est d’une absurde et terrifiante logique « je vais pas abandonner un sport auquel j’ai déjà donné une jambe ».
Après cette anecdote il serait vain de se lancer dans un descriptif détaillé de l’approche psychologique du sport et de la vie par Alexandr, tout est résumé dans le coup de matraque verbal que vous venez de prendre.
La suite appartient à l’Histoire et au lieu de se jeter dans de grandes envolées lyriques tels des Vikings s’adonnant à des joutes de poésie après une bonne journée à découper des sternums, on va simplement s’asseoir devant le projecteur, se laisser bercer par le bruit de la pellicule et essayer d’ingurgiter le palmarès après 13 ans de carrière du plus grand lutteur gréco-romain de l’histoire de l’humanité, Mr Aleksandr Karelin:
Sa deuxième défaite fut également sa dernière, lors du dernier match de son indescriptible carrière. Il perdit en finale de ce qui aurait été ses 4èmes Jeux Olympiques successifs,se faisant battre de justesse aux points par un américain après un changement de règles un peu suspect quelques semaines avant le début de la compétition. Il quittera après ce revers le tapis de lutte en y laissant sa paire de chaussures, geste signifiant dans le monde de la gréco-romaine l’adieu à la piste.
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Doté d’une force physique tout bonnement incompréhensible, il est le seul lutteur ayant officié en catégorie « Super-Heavyweights » (de 97 à 130 kilos) à avoir fait d’un geste impossible sa marque de fabrique : ce qu’il convient désormais d’appeler le « Karelin Lift ». En théorie ce n’est pas bien compliqué, durant les phases ou l’adversaire est allongé sur le ventre il suffit de les choper par la taille, serrer comme un étau, prendre une bonne inspiration et les arracher de terre pour les soulever le plus haut possible, opérer à une rotation d’un quart de tour et au même moment… Les éclater au sol avec le plus de violence préhistorique possible. On rappelle qu’on est dans la catégorie ou les lutteurs professionnels pèsent jusqu’à 130 kilos ! Sur le circuit même es lutteurs les plus titrés, rodés et aguerris se décomposaient à l’annonce des tirages au sort.. Jeff Blatnick, pourtant champion Olympique lui-même dira à propos de sa rencontre avec le géant d’acier : « je tentais tout ce qui était humainement possible pour l’empêcher de me soulever du tapis de lutte. Je pesais 130 kilos. J’étais parfaitement entraîné. J’avais peur, j’étais même terrifié. Je n’apprécie pas particulièrement de voler dans les airs comme ça. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser « ne te blesse pas – ne te blesse pas ». Avec lui c’est quasiment une victoire si tu arrives à ne pas te faire catapulter. »
À partir d’un certain point, il devient inutile d’essayer de trouver des superlatifs assez grandiloquents pour décrire ce à quoi l’on assiste. Il faut que vous en soyez témoins vous-mêmes.
Sans vouloir la jouer Professeur Xavier du pauvre, on peut sans trop prendre de risque deviner que vous n’avez maintenant qu’un mot à l’esprit : stéroïdes. Et ben mes petites dames et mes petits messieurs figurez vous-t’y pas qu’Alexander avait une très stricte politique à propos de toutes les substances illicites, qu’il vomissait et considérait comme un déshonneur. Il a mis un point d’honneur à se soumettre à tous les tests immédiatement et sans détour et croyez-moi à la lutte gréco-romaine, testés ils le sont et pas qu’un peu. Il n’a pas une fois en 13 ans testé positif à quoi que ce soit.
Il est des hommes qui n’ont pas éclos dans le système solaire adapté. Il est des hommes dont la discipline, les performances physiques et la solidité mentale défient toute rationalisation.
Aujourd’hui Aleksandr Karelin coule des jours heureux dans sa Sibérie natale, il s’implique en politique et a eu droit aux plus hautes récompenses possibles en tant que citoyen russe pour l’ensemble de son oeuvre.
Tout ce qu’on peut espérer dorénavant nous autres pauvres mortels, c’est qu’entre deux bouchées d’une bonne salade aux gravats, une rasade d’huile de moteur et après une quinzaine de tractions lestées par 3 sangliers, il ne vienne pas à l’idée de Karelin de venir envahir l’hexagone pour une raison dont lui seul aurait le secret. Même en assemblant un Transformers avec nos Rafales, nos sous-marins nucléaires et le GIGN au grand complet, il nous rirait probablement au nez avant de nous catapulter jusqu’à Pluton.
« Ce qui me différencie des autres? Je m’entraîne chaque jour de ma vie comme ils ne s’entraîneront jamais dans un seul de la leur. » Aleksandr Karelin
[…] de pancrace étaient réputés pour être d’une rare violence, du genre à faire pisser froid un Aleksandr Karelin au faîte de sa puissance, et contribuaient à drainer par milliers des spectateurs déjà acquis […]