Nous sommes au milieu des années 90 et le combat libre sous forme moderne vient de naître. Il fait déjà ses premiers pas, mais n’est encore qu’un simple conglomérat des disciplines martiales préexistantes. Le Jiu-Jitsu vient d’y faire son apparition, remarquée, et les gens commencent à témoigner de la curiosité au phénomène. Néanmoins aux yeux du monde, répugné par son aspect, il n’est rien de plus que « l’ultime enfant bâtard ». Un genre de bébé avec une tête un peu cheloue, dont on dit déjà avec suffisance qu’avec une gueule pareille le seul endroit ou il aurait sa place dans le Panthéon des sports de combats, c’est entre le sous-sol et les chiottes.
Pourtant quelques années seulement après sa conception, le gamin prenait déjà son indépendance. Porté par un souffle divin et aidé par de puissants amis (les frères Fertitta, de richissimes hommes d’affaires ayant injecté plusieurs millions de dollars dans l’entreprise « UFC » afin de la mettre sur pieds), le minot extrayait de son rocher l’équivalent d’Excalibur : le Ground and Pound.
Soyons direct, soyons francs, soyons turbo-diesel-injection-bleh-bleh : cette pratique, pourtant dénoncée avec force par tous les détracteurs du sport, est LA véritable contribution du MMA au vaste monde des sports de combat. Il était temps de rendre à cette phase mal-aimée ses lettres de Noblesse. Petit tour de table ronde.
La légende voudrait que le terme ait été mis au monde par le lutteur Américain Mark « the Hammer » Coleman, d’ailleurs plus tard rebaptisé « Parrain du Ground & Pound ». Imaginez un lutteur de métier d’un mètre quatre-vingt-dix, stéroïdé comme un taureau d’abattoir, et d’une intensité style « Depardieu à qui on a poucave sa bouteille de merlot ». Gardez également à l’esprit que nous sommes alors à une époque ou le sport autorise encore les coups de boule et le broyage de noix.
T.A.N.K
Avant une de ses apparitions, ce morceau de barbaque 100% nerfs adepte du trash-talk bien rocailleux aurait ainsi balancé à propos d’un de ses adversaires : « I’m going to ground and pound the goddam SHIT out of him. » Alors arrivé là, je lance un appel à tout traducteur accrédité qui aura une meilleure interprétation de cet instant de poésie gonflée aux amphèts. Mais pour ma part je penche vers du : « je vais le pilonner au sol jusqu’à ce qu’il en chie ses organes ».
Je pense que ça encapsule bien l’esprit de la déclaration. Quoi qu’il en soit c’est donc en ces temps troubles et reculés que serait née la désormais incontournable expression. Mais trêve de bavardage, pour faire très simple : le ground & pound c’est l’Art de frapper une fois au sol.
Quand nous parlons d’Art, nous sommes très précautionneux avec notre utilisation du mot. Il est nécessaire de bien faire ressortir l’idée que cette phase du combat, à cause de laquelle la plupart des gens voient encore aujourd’hui le sport comme une expression barbare et sanguinaire de nos plus bas instincts, est en réalité une partie inconcevablement technique et complexe. Tel qu’il est implémenté et travaillé aujourd’hui, on est à des années-lumière de la représentation primitive que s’en font les gens, entre les « Donkey Kong Double Punchs » et les vieilles fins de bastons sur le parking du Flunch.
Ground & Pound : Snoop Doggy Style
C’est une des manières les plus sûres de terminer un combat. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la pratique a d’abord été développée par des lutteurs : un lutteur qui vous amène sur le plancher des vaches, c’est pour vous y maintenir. La raison derrière cette idée est que lorsque l’on met quelqu’un au sol, on le prive de tout mouvement rapide et dynamique capable de générer de l’énergie cinétique. Au sol, les possibilités d’événements catastrophiques sont extrêmement réduites comparées à une situation ou le combat se déroule debout.
John Danaher, entraîneur en grappling de Georges St Pierre, explique ainsi que « c’est même la principale raison de l’existence du Jiu-Jitsu : pouvoir réduire les risques et contrôler les affrontements violents ». Pour illustrer son propos, il utilise un exemple Made in USA : « Quelle est la première chose que font les cowboys quand ils veulent marquer le bétail ? Ils le mettent au sol. Ils leur enlèvent leurs jambes. Autrement, les vaches emploieraient leur mouvement explosif et dynamique pour te blesser. Une fois au sol, ces mouvements sont massivement réduits. »
L’avantage évident et intuitif du ground & pound, c’est donc une fois en situation dominante de pouvoir infliger des dégâts dans une position où vous avez peu de risques d’en recevoir. Une fois en position néanmoins (et celles-ci sont d’une incroyablement diversité ; half guard, full guard, mount position etc…), l’adversaire a alors deux possibilités qui s’offrent à lui : soit il tente de s’échapper, soit il tente d’immobiliser le combat. En immobilisant le combat, il s’offre un peu de répit, et s’il arrive à suffisamment bloquer le combat l’arbitre peut même décréter « inactivité » et relever les deux combattants.
Une fois l’avancée bloquée, toute l’attention du dominé est donc concentrée sur les deux bras de son adversaire. C’est là toute la complexité dans le déploiement d’un ground & pound réellement efficace : il faut réussir à maintenir l’adversaire au sol, à l’y contrôler et à placer des coups précis et puissants simultanément.
Si Coleman a véritablement fait exploser l’usage de la pratique, c’est bel et bien la légende russe Fedor Emelianenko alias « le Dernier Empereur », qui dans les années 2000 la fit passer au niveau supérieur. Un niveau ou la technique chirurgicale du grappleur se hisse au même niveau que la force brute du lutteur et l’explosivité du striker. Le niveau « Orgue de Staline ».
Multiple Champion du monde de Sambo (discipline martiale russe mêlant combat debout, mises au sol et soumissions) avant de se lancer en MMA, Fedor utilisa son approche quasi scientifique du combat, sa connaissance du sol et son explosivité naturelle pour développer un système de ground & pound à part entière. Un système tellement efficace d’ailleurs, qu’une fois en full-guard il n’essayait même pas d’améliorer son placement. Du positionnement au contrôle du corps en passant par une manière de frapper bien spécifique, il fit de cette phase alors embryonnaire du combat son arme la plus redoutée.
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Plus petit et plus léger que quasiment tous les combattants qu’il aura rencontrés durant sa phénoménale carrière, c’est même grâce à cela qu’il s’offrit le scalp de monstrueux Goliath comme seules les ligues japonaises le permettent, on pense à Semmy Schilt, Hong-Man Choï ou au Brésilien Zuluzinho.
Mais pour vous épargner de longues tirades aussi excitantes qu’un puissance 4 avec Michel Drucker, l’équipe « spéléo » de La Sueur a été vous déterrer un véritable trésor des insondables profondeurs de YouTube. À la vue de ces images, vous comprendrez immédiatement, et surtout instinctivement ce qui a fait de Fedor un combattant absolument unique en la matière. Pour vous contextualiser un peu l’incroyable avance prise par le Russe dans son utilisation de la chaîne cinétique, dites-vous bien que les braves types à qui il enseigne ses secrets dans cette vidéo ne sont autres que Ronaldo « Jacare » Souza et Gegard Mousasi, deux des meilleurs combattants de ces dix dernières années.
Toute cette vidéo n’est qu’une longue et inestimable mine d’or en termes de mécanique du corps adaptée et utilisée à la quasi-perfection. Allez jeter un coup d’œil à 4:23 par exemple.
Au-delà même du positionnement des membres et de la gestion de son centre de gravité, c’est son utilisation du buste, l’accélération de ses épaules, des bras et de ses poings qui lui confèrent une efficacité maximale. Ajoutez à cela avec un angle de posture lui permettant un maximum de dommages tout en gardant le contrôle de son vis-à-vis même en « full guard ». Tout ceci nous amène naturellement à notre dernière digression sur le sujet : le futur du ground & pound.
Dans un sport aussi jeune que le MMA, certaines tendances sont souvent lancées, popularisées puis incorporées par les masses après qu’un combattant (de préférence dans une organisation populaire) en ait démontré l’efficacité. On pense à l’oblique kick de Jon Jones, au spinning back kick d‘Edson Barboza ou encore aux kicks à hauteur de mollet de Benson Henderson. Nous allons donc nous essayer à un jet de dé afin de voir quels sont les combattants susceptibles de lancer une nouvelle tendance, ou tout du moins de poser les jalons d’un G&P 3.0 .
Ces derniers temps plusieurs guerriers se sont détachés du lot, provoquant des haussements de sourcils intéressés chez les observateurs du sport.
Tout d’abord l’incontournable Khabib Nurmagomedov. Véritable machine à broyer, « the Eagle » utilise son incommensurable connaissance en grappling pour clouer ses adversaires au sol et les y maintenir dans un état de perpétuelle suffocation. Mais en plus d’une maîtrise totale dans l’anticipation et le contrôle du mouvement de ses adversaires, il assaisonne chacune de ses phases de domination par un ground & pound sans aucun temps mort. Quelle que soit la position dans laquelle Khabib décide d’emmener le combat, il y fait pleuvoir un ground & pound pas nécessairement puissant (le principe même de sa lutte d’étouffement étant de ne laisser aucun centimètre carré d’espace libre, cela réduit forcément la possibilité de prendre de l’élan), mais qui participe au sentiment de désespoir rencontré par quasiment chacun de ses adversaires jusqu’à présent.
On peut donc pour les grapplers imaginer une tendance que serait un ground & pound à la sauce « Diaz Brothers », avec des coups à 50%, mais en distribution perpétuelle, qui iraient de pair avec un mouvement constant à imprimer au combat. Mais cela nécessite un tel degré de maîtrise en lutte, qu’il sera difficile au commun des mortels de parvenir à de tels résultats.
À l’inverse, l’autre avancée est venue des strikers. Trois exemples viennent immédiatement à l’esprit : Alistair Overeem, Mirko Cro Cop et Darren Till. Ces dernières années, ce trio de francs-tireurs d’exception a prouvé que l’élite mondiale du pied-poing avait elle aussi énormément à apporter à l’équation. Non sans rappeler la précédente vidéo, les trois compères susnommés utilisent ainsi leur remarquable utilisation de la chaîne cinétique pour imprimer une puissance dévastatrice à chacun de leurs coups. À l’extrême inverse de Khabib, on est là sur un empilement de poings ou de coudes dont chacun est minutieusement choisi, et placé pour un dégât maximal. Nous sommes ici plus dans le domaine de la mécanique de frappe que dans celui du contrôle de l’adversaire. Ce n’est alors plus un ground & pound pour séparer l’adversaire de sa volonté, mais l’être humain de sa conscience.
Pour être impartial dans notre ébauche d’analyse et ne pas prêter le flanc à la critique, il convient de dire qu’il y a surtout autant de types de ground & pound qu’il y a de morphologies. Un combattant comme Jon Jones, longiligne et détenteur d’une gigantesque allonge, basera son G&P sur les coudes, car il peut les décalquer au menton même lorsque ses poignets sont contrôlés. Cela modèlera entièrement son approche, qu’il peut par exemple axer plus sur la stabilité de la base. Tandis qu’un petit trapu comme Chad Mendes sera obligé de se poster sur un de ses appuis pour amener la foudre de ses poings, créant un tout autre type de danger ainsi qu’un système de positionnement radicalement différent. Nécessitant alors à son tour la mise en place d’une palette défensive elle-même entièrement adaptée.
En fait, pour un combattant, si des tendances peuvent bien sûr se dégager en fonction du background, l’importance des attributs physiques est elle aussi tellement prédominante dans le processus d’adoption ou de création d’un style que même pour une phase d’apparence aussi restreinte techniquement que le ground & pound, les variations deviennent quasi infinies.
Article très intéressant. Le style d’écriture est aussi agréable.
Encore !
Merci
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