Au coeur des coutumes celtes avec le football gaélique

Le football gaélique. À l’écoute de ce nom aux relents barbares, l’ingénu se représente systématiquement des Celtes à la barbe orange tressée en crin d’auroch courir avec un vague ballon tout en s’envoyant des mornifles de magnitude 9. Ce serait méconnaître la subtilité irlandaise qui, loin de se réduire aux divers degrés de fermentation de la bière noire, s’illustre en de nombreux domaines, notamment dans celui du sport. Nous pourrions, pour commencer cet exposé, réduire le football gaélique à un vague panaché de rugby et de football moderne. Ce serait trop peu. Cela permet cependant de tracer pour le néophyte les grandes lignes de ce sport.

Étudions en premier lieu le terrain. Il est composé d’herbe, à l’entretien farouche, comme rarement herbe a pu être maternée du fait de l’incroyable climat irlandais, où l’absence de pluie entre minuit douze et vingt-trois heures pourrait être comparable dans son originalité à l’apparition d’une idée saine dans un bouquin de Bernard Henri Lévi. Long de 130 mètres, 145 pour les plus vastes, et large d’entre 80 et 90 mètres, ce terrain est délimité par des lignes blanches et serti à chaque extrémité de poteaux assez saugrenus. Ces derniers allient l’altitude et la forme des perches de rugby à une cage de football, ornée de filets, devant laquelle se tient un gardien. Pourquoi diable ? Pour quelle obscure raison malsaine pousse-t-on le vice à de tels confins ? Car ce jeu propose deux manières bien différentes de marquer des points. Différentes mais fichtrement exaltantes. Le tir entre les poteaux, à la manière d’un drop ou d’une pénalité au rugby, rapporte à l’équipe qui en est l’actrice un point dans la besace. Le tir dans la cage, située sous la barre transversale, en rapporte trois. Voilà pour ce qui est du calcul du score, pour de plus amples questions veuillez-vous adresser à Chantal du service compta’.

De cette courte description découle une interrogation légitime : « comment qu’y tapent dans l’cuir les bougrards ? » Il existe deux manières de frapper la balle. Celle-ci, similaire à un ballon de football, plus pesant, voit son enveloppe composée de bandes rectangulaires qui lui octroyent une étrange parenté avec le volley-ball, ce dont il faut immédiatement se détacher sous peine d’entacher à jamais le blason pourtant lustré de notre noble sport irlandais. La première façon de marquer ou de se faire des passes consiste à cogner la balle avec le pied, que ce soit le haut, l’auriculaire, de rien, la malléole, le talon ou les poils de Gamegie, tous les coups y sont permis. La seconde s’effectue avec les jambes du haut. Il convient donc, à grands renforts de poignes de fer, d’envoyer le cuir vers un coéquipier, les filets adverses ou la trogne d’un adversaire trop entreprenant. Seulement, ici point de manchette comme au volley, la règle stipule que le joueur doit impérativement avoir ses deux mains en contact avec le ballon au moment de la frappe, la main porteuse restant en contact avec le ballon durant la réalisation du geste. L’autre main peut être paume ouverte ou fermé, à loisir. Les contrevenants s’exposent à de lourdes sanctions, allant de l’immersion complète dans une tourbière gorgée de sang de vipère à l’écoute forcée d’un concert de Bono à 86 courax.

Le football gaélique ou la télévision du druide

S’il n’existe ni hors-jeu ni en-avant, en revanche, les quinze joueurs de chaque équipe, contrairement au rugby, ne peuvent de déplacer à leur guise balle en main. Les courses sont limitées à quatre pas, au-delà de ce décompte le joueur peut soit effectuer un bounce — dribble à la manière du basket — consistant à faire rebondir une fois le ballon au sol, ou bien encore un toe-tape — un rebond du ballon sur son propre pied avant de le récupérer avec les mains — avant de continuer à courir. S’il est possible d’effectuer un porté de quatre pas, un toe-tape, un porté de quatre pas, un bounce, un autre porté, un toe-tape et ainsi de suite, il est formellement prohibé de faire se succéder deux bounce, même intercalés entre trois portés. À un bounce + porté ne peut succéder qu’une passe, un tir ou un toe-tape (+ tir, passe ou porté si affinités). Point barre. Ne venez pas pinailler, je serai intraitable là-dessus. Mais une fois ces comportements balle en main acquis, haut les cœurs et passez muscade ! Car la suite ne s’avère pas plus ardue. Les contacts entre joueurs sont autorisés par des coups d’épaules similaires à ceux du football. Ici il n’est pas question, à la manière du rugby, de tomber sur le râble du gusse d’en-face comme la vérole sur le bas-clergé dublinois. Non point ! Fidèles à l’adage « qui embrasse trop mal étreint », les placages sont mis de côté au profit de collisions d’épaulettes et surtout d’une science du placement qu’impose l’exigence d’interceptions. Le gardien de but est le seul à bénéficier d’une immunité face aux charges, au sein de la zone de ses six-mètres. Au-delà, il devient un pintadeau comme tous les autres susceptible d’être endommagé à coups de clavicule. On peut, au demeurant, déposséder un joueur du ballon en cognant dessus. Sur le ballon s’entend. Le dernier point essentiel est qu’on ne peut se saisir à la main d’une balle au sol. La loi stipule, et si elle s’enquiquine à stipuler ce serait bien de l’écouter de temps en temps, que la balle doit être levée avec le pied au préalable.

La simplicité de ces règles permet au football gaélique de s’orner de parures spectaculaires, en témoignent des tirs entre les poteaux à 40 mètres, des frappes mach 5 à bout portant qui émiettent trois côtes à un gardien héroïque, des shoots à la paume chafouine dans la lucarne après une feinte du pied, j’en passe et des meilleures.

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Aux compétitions à présent. Pratiqué traditionnellement en Irlande, depuis sept siècles au moins, les règles modernes ont été établies en 1887. Chaque année, les comtés irlandais s’affrontent lors des All-Ireland Senior Football Championship, sorte de championnat aux allures toutefois particulières. Les équipes des 32 comtés s’opposent dans leurs quatre provinces respectives (Connacht, Ulster, Leinster, Munster), au sein d’une compétition à élimination directe. Les vainqueurs de ces compétitions gagnent quatre places des huit qui composent les All-Ireland Senior Football Championship. Les équipes restantes s’affrontent lors d’une compétition de repêchage à quatre tours qui voit les quatre équipes remportant le troisième tour affronter au quatrième les finalistes malheureux des finales de la compétition des provinces. Les quatre vainqueurs se qualifient pour les quarts de finale des All Ireland Senior Football Championship, qui se déroulent au mois d’août, pour tenter de décrocher la Sam Maguire cup à l’issue de la finale, dans l’antre de Croke Park. Ou comment ériger la structure d’une compétition sportive avec un demi-fût de Guinness au fond des tripes.

Ces rencontres sont invariablement le théâtre de manifestations bon enfant, au caractère respectueux quoique perpétuellement traversées par un fond de chauvinisme dû aux lois de la fédération irlandaise de football gaélique. Car ces lois, précises et immuables, taillent des croupières aux dérives monétaires qui gangrènent aujourd’hui les autres grands sports collectifs, où les enveloppes financières de certains clubs permettent la construction d’effectifs en peau de char Patton. La fédération irlandaise de football gaélique met un point d’honneur à interdire toute possibilité de transfert. L’amateurisme y règne en maître et un joueur ne peut évoluer qu’au sein de l’équipe de son comté natal. Ainsi, les clubs se forgent une réputation sans bourse délier, sur les aciers ancestraux du vivier local et de l’entrainement maison. Si cette conception du sport peut nous paraître primitive, voire même rétrograde, attisant les haines entre territoires et le sentiment régional, elle passe à leurs yeux pour salvatrice, en ceci qu’elle annihile toute facilité, toute monétarisation et toute corruption de la discipline. Puisque, comme le dit le dicton, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».

Le football gaélique ou la télévision du druide

Cette loi a le mérite, de plus, de contribuer à réduire le nivellement entre les équipes afin d’assurer le spectacle, quoique certains comtés survolent, historiquement, la compétition. Le comté de Kerry et celui de Dublin sont les plus titrés, respectivement vainqueurs à 37 et 25 reprises. Soit près de la moitié des 128 trophées décernés depuis 1887 (seule l’année 1888 fut vierge de tout championnat). Si les buts — marqués en envoyant le ballon dans la cage défendue par le gardien, valant trois points — sont assez rares à chaque rencontre, en revanche les « points » — marqués en envoyant le ballon au-dessus de la transversale, entre les perches de rugby — s’alignent en général comme des perles, jusqu’à une vingtaine par match pour les équipes les plus talentueuses. Le score se présente de manière saugrenue. Le premier chiffre souligne le nombre de buts et le second le nombre de « 1 point ». Prenons la grande finale de 2013, haletante, qui a vu Dublin l’emporter face à Mayo sur un score de 2-12 à 1-14. 2 buts (à trois points) donnant 6 points, additionnés aux 12 points simples (coups de pied entre les perches), attribuent un score de 18 points à Dublin. Du côté de Mayo, 1 but (à 3 points) et 14 points simples entérinent un score de 17 points. Dublin l’emporte. Pour ceux qui sont encore sur leurs calculettes, lancez-vous dans un bon jeu du Pélican. Les autres excusez le ton ludique à outrance.

Comme à une rencontre de handball, il est surprenant de voir une rencontre s’achever sur un score vierge pour l’une des deux équipes. Toutefois cela s’est déjà produit lors de la finale de 1889 où l’équipe de Queen’s County a été contrainte de rentrer Fanny après avoir misérablement présenté une marque de 0-0 au tableau d’affichage, contre 3-6 pour Tipperary, large vainqueur. Cuisante chicote qui a dû laisser des traces dans les esprits et dans les cœurs. En effet, ce comté ne parviendra plus à se hisser en finale, du moins jusqu’à l’heure où vous lisez ces tristes lignes.

Seulement le caractère sportif des évènements ne s’arrête pas aux portes de la défaite. Les Irlandais, célèbres pour leur musique endiablée, leur accent, leur laine et leur boisson ne laissent pas cette dernière au vestiaire. Les troisièmes mi-temps, plus disputées que l’ensemble de la compétition, voient des collectifs même passés sous les fourches caudines se rincer la dalle convenablement dans les gargotes locales jusqu’au point où, à force de tourner en rond dans les effluves de Murphy’s, ils en finissent par déglutir ovale. Et ces pugilats farouches à coups de lever de coude et de rots d’Ostrogoths participent activement à la sacralisation de ce sport, fer de lance de la grande culture irlandaise. Puisque, comme le brasse le dicton, « à vaincre sans baril, on triomphe sans boire ».

by La fausse patte de l’Ouest

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