Le petit Théophile voit sa vie défiler devant ses yeux. Enfin le disque dur est quasi vierge, il a 14 ans…Toujours est-il qu’il est à 400 mètres au large, au delà de la terrifiante barre de vague, et le courant l’emporte là ou aucun nageur ne veut se risquer. Il sent la fin, il crame ses dernières forces en tentant de se maintenir hors de l’eau mais ses petits mollets vont bientôt le tacler, et la gravité l’emmener au fond comme un vulgaire prisonnier lesté du siècle dernier.
Au moment où le jeune champion de ball trap pense rendre son dernier battement de jambe, il les aperçoit: 5 marins pétés comme Schwarzenegger dans un avion de chasse à 4 rames. Ils arrivent vite, en fendant les flots tels Hercule les innombrables têtes de l’Hydre de Lerne.
Théophile avale une dernière goulée d’air en priant le ciel pour qu’ils arrivent à temps. Ils sont déjà là.
Une main de la taille d’un spinner de low-rider le chope par l’épaule et le tire dans l’embarcation, il retrouvera sa famille quelques minutes plus tard. Leur gratitude est infinie.
Ils mourront dans un accident de voiture sur le chemin du retour.
Si ce jour là Théophile n’a vraiment pas eu de bol, au moins il est pas mort noyé. Et ça, c’est grâce aux sauveteurs en mer et à leur surpuissant « Surfboat ».
Discipline centenaire apparue en Australie en 1908, là ou les rouleaux brisent les colonnes vertébrales comme des biscuits secs, le surfboat est à la base utilisé par les sauveteurs pour aller chercher le pégu qui a décidé d’aller faire de la plongée sous-marine entre des immeubles de 2 étages, ou aller aider des embarcations en difficulté.
Un équipage se compose de 4 rameurs assis en quinconce et d’un Sweep (le barreur) qui dirige le bateau grâce au Sweep Oar (le gouvernail) . La place la plus difficile est celle du rameur n°4 (le rameur le plus loin du Sweep) , c’est lui qui ramasse les vagues en premier et qui s’envole le plus lorsque le bateau négocie une vague de front. Les rameurs doivent être parfaitement synchronisés, et calquent leurs mouvements sur le n°1, le plus près du barreur.
Alors attention, le Sweep c’est pas le « Coxswain » de l’aviron qui pèse l’équivalent d’un pot de Nutella et 3 crottes de nez pour avoir une incidence quasi nulle sur les performances.. Là on est en mer et la violence est de la partie. Le Sweep est donc une machine de guerre autant que les 4 artilleurs devant lui. Jetez un oeil aux photos des compétitions officielles de la Ocean Thunder vous allez comprendre!
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Evidemment toute comparaison est maladroite car les objectifs ne sont pas les mêmes. A l’aviron on est sur des embarcations légères et effilées à l’extrême pour une glisse optimale sur une « piste » d’huile, et dans cette optique caler Pierre Menez à la poupe ne serait pas forcément judicieux. Au Surfboat barrer est exceptionnellement physique, et garder son bateau sous contrôle n’est clairement pas une sinécure quand il s’agit de composer avec des vagues de 3 mètres. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des très spectaculaires pertes de contrôle et parfois des retournements complet des embarcations.
Notez aussi que tous les compétiteurs de Surfboat sont des sauveteurs en mer en activité, d’ou les armoires à glace quel que soit le poste.
L’équipage commence hors du Surfboat sur la grève, un peu à la manière d’un bobsleigh.
Au « top action » comme on dit dans les forces spéciales, les marins sautent dans l’embarcation et se lancent en mer à grands renforts de coups de pagaie, avec pour objectif d’aller jusqu’à une bouée située à 400 mètres du rivage en affrontant les barres de vagues sur leur chemin. Ils doivent alors contourner la bouée dans un sens bien précis, et revenir vers la plage en tentant de surfer pour doubler les autres concurrents. Arrivés au rivage le rameur de tête (Le n°4) saute de l’embarcation et court sur la plage pour être le premier à toucher le drapeau d’arrivée (et c’est un euphémisme, généralement ils font le sprint de leur vie et plongent tels des ailiers Sud-Africains en finale de coupe du monde de rugby pour éclater d’une tatane le drapeau de plage).
Et la petite bricole en plus qui fait plaisir, c’est que lors d’une compétition toutes les embarcations prennent la mer au même moment. Inutile de vous dire qu’avec des vagues sur-brutales comme celles qu’on trouve sur la côte Est de l’Australie les pertes de contrôles qui engendrent des collisions type « stock-car » sont aussi fréquentes que les mannequins Aubade dans le plumard de DiCaprio.
En France la discipline a été importée en 2001 avec le club de Bègles, et depuis le sport s’est développé tranquillement mais sûrement, et la Grande plage de Biarritz a accueilli en 2008 la première compétition internationale en Europe. Les équipes hexagonales sont aujourd’hui au nombre de sept; Biarritz, Bègles, Bordeaux, Bayonne, Sciez, Hendaye et Hossegor.
Pour ce qui est de cette année, des manches comptant pour le championnat de France se tenaient à Dinard du 4 au 6 septembre et à Lacanau le 10 octobre. Il n’y avaient pas les décapitations, les Aigles de sang, les viols et autres Drakkars mais pouviez être témoins du nec plus ultra en matière de manoeuvres maritimes, des virtuoses de la rame et du Sweep. Ce qui est déjà pas mal !
Pour signer cette article j’aimerais plagier honteusement et utiliser la « catchphrase » du désormais légendaire animateur de Thalassa, Georges Pernoud : « À la semaine prochaine, et Bon Vent ! »
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